jeudi 18 août 2016

Psychometrer Eiji, never lose your mind

"Tangled in the midst of all the trust
The way you pissed inside
The brain file technology drives
Show me you dots now..."

You are a light, Pavement, 1999

Si il y a bien une chose que j'adore faire, c'est exhumer certains ouvrages oubliés, perdus dans les limbes des "arrêts de commercialisation" décidés par des éditeurs sans cesse en quête de sang neuf et de nouveautés, davantage préoccupés pour la plupart par la santé de leur tiroir caisse et de leur réputation d'être toujours à la pointe de la tendance éditoriale, choses que je comprends aisément en tant que libraire car il ne faut pas se leurrer, une maison d'édition est avant tout une entreprise qui doit tourner et pouvoir faire vivre ses employés, pas de lever de drapeau de ma part mais un simple constat et rappel d'une évidence. Seulement voila, certains éditeurs décident d'arrêter de publier tel ou tel ouvrage, ou telle série, pour divers motifs (financiers, juridiques, ect...) et c'est franchement dommage, preuve en est avec le manga dont je vais vous parler aujourd'hui, une série publiée au Japon entre 1996 et 2000 et sortie chez nous en 2001 par le biais du très prolifique éditeur Kana, qui est, mais faut il encore le rappeler l'éditeur de l'inénarrable "Naruto" (dont je ne fait pas vraiment parti de la "fanbase") et qui a surtout eu le bon gout de faire découvrir aux français le travail du grand Togashi Yoshihiro avec "Yû Yû Hakusho" et "Hunter X Hunter", une série classé un peu à tort dans les "shonen" (manga destiné aux jeunes garçons) aux accents policiers et fantastiques, j'ai nommé "Psychometrer Eiji", une œuvre fichtrement originale comme on n'en fait (presque) plus.

 
































Pour tout vous dire, j'aime bien certaines séries fantastico-policières type "Mentalist", "Dexter" ou "Les Médiums" (à ne surtout pas confondre avec "Médium" jouée par Patricia Arquette) même si je trouve parfois qu'il y a un peu trop de "copycats" plus ou moins réussies et inspirées de ce genre de fictions, qui veulent toutes surfer sur la tendance florissante du "thriller fantastique", donnant souvent des résultats pas très heureux, voir pénibles et facilement oubliables. Ce qui n'est pas du tout le cas de "Psychometrer Eiji"; même si et vous avez raison de le souligner,  n'est pas une série télé mais une fiction de papier, un manga en 22 tomes qui a récolté son petit succès critique et publique en France et un statut d’œuvre culte au Japon avec la production d'un jeu vidéo, de deux "dramas" (adaptation d'un anime en film live, une chose très courante et populaire en Asie) et d'une suite parue en 2011 et qui est actuellement en cours de publication. Mais késako-de-quoi-ça-cause-exactement? Laissez moi vous introduire dans le quotidien en apparence banale de Eiji Asuma, lycéen lambda et bagarreur, mais qui possède un don tout à fait particulier qui est celui de la psychométrie, aptitude lui permettant via un contact avec un objet ou une personne de recevoir sous forme de flash les fragments de la vie de celle ci. Un étrange pouvoir gardé secret, puisque seuls la demi sœur d'Eiji et son meilleur ami Yusuke sont au courant, cependant une série de crimes affreux commis par un certain Moebius va bouleverser sa petite vie de lycéen sans histoires, puisque dans la foulée il va faire la rencontre d'une charmante inspectrice pleine de sagacité qui finit par découvrir son secret, l'amenant ainsi à collaborer avec la police pour résoudre des enquêtes difficiles. Un duo de choc qui va apprendre à composer ensemble, avec leurs différences de personnalité, et ponctuellement aidé par divers personnages hauts en couleurs et bien barrés pour certains.


























En clair et pour résumer, de l'action, de l'humour, des enquêtes criminelles, un pouvoir étrange, un tandem de choc, et un excellent scénario bien exploité qui donne envie de lire la série d'un trait tant les personnages sont attachants et intéressants, que ce soit notre psychometrer Eiji ou les seconds couteaux indispensables qui l'accompagnent dans ses tribulations d'enquêteur malgré lui, on rit beaucoup de certaines situations ubuesques et bien barrées tout en gardant à l'esprit que le crime n'est jamais bien loin. J'ai particulièrement apprécié le style graphique qui change un peu de ce que l'on voit d'habitude dans les shonen, avec ce trait net et affirmé qui met en valeur une belle galerie de personnages, ce qui est vraiment appréciable car étant personnellement une aficionado des mangas "seinen" au ton plus adulte et construit. Une série vraiment géniale et qui mérite son statut d’œuvre culte, qui ravira tout les vrais fans de manga ayant envie de se mettre quelque chose de bien consistant sous la dent, ainsi que les amateurs de séries policières bien ficelées, mon seul regret étant qu'elle ne soit actuellement plus éditée en France, Kana ayant stoppé la commercialisation de ce titre en 2010, mais on peut encore le trouver relativement facilement par le biais de l'occasion, et vous ne le regretterez pas, parole de madame Mauvaise Influence!

** "Psychometrer Eiji" dessins de Masahi Asaki et scénario de Yûma Andô, éditions Kana, collection Dark Kana. Série complète en 22 tomes.

jeudi 4 août 2016

White Trash, White Light/White Heat

"I'm gonna break out of the city
Leave the people here behind
Searching for adventure
It's the kind of life to find
Tired of doing day jobs
With no thanks for what I do... "

Do anything you wanna do, Eddie & the Hot Rods, 1977

L'été, et c'est bien connu, n'est pas vraiment la saison adéquate pour les sorties de nouveautés "hors format" transpirant d'originalité et de politiquement incorrect, ce serait même plutôt le contraire puisque il parait que la saison du soleil, des grandes chaleurs et des vacances serait synonyme de légèreté, d'évasion et de "lectures faciles", enfin c'est ce que pensent certains éditeurs depuis plusieurs années, considérant l'été comme une période creuse propice au fameux "temps de cerveau de disponible" digne d'une publicité Coca-Cola, avec mise en avant des incontournables "opération de l'été" dans les têtes de gondole, romans Pocket type Lévy/Musso/Bourdin, livres à petits prix et bandes dessinées à licence. Sauf que votre serviteur interzonienne Lula, en sa qualité de libraire qui n'aime pas lire comme tout le monde, cherche, farfouille sans cesse et aime dénicher LE bouquin hors norme, l'ovni qui passe souvent inaperçu, planqué entre deux tranches de Largo Winch et autre produit ultra marketé du même acabit, sans vouloir offenser MM Van Hamme et Francq bien sur. Et aujourd'hui je vais vous parler d'un comics rock'n'roll à souhait et bien ravagé du bulbe, édité par le courageux éditeur Ankama, qui sous son label mythique "619" regroupe déjà un paquet d'excellents titres comme "The Grocery", "Tank Girl", "Mutafukaz" ou "Doggybags". Bienvenus dans cette "anti lecture de l'été", sur la route trash et choc ou Marc Lévy et ses petits copains seraient abandonnés sans scrupules sur le bas côté!


































White Trash... Comme une légère intuition que le titre annonce déjà la couleur d'un comics lui même super haut en couleurs, œuvre d'un dessinateur de talent et touche à tout, le regretté Martin Emond, artiste garantie maximum rock'n'roll déjanté et franc tireur qui ne faisait pas vraiment dans la dentelle, mais ça on s'en fiche complètement puisque la bienséance et le politiquement correct ne sont pas vraiment les mamelles de La Mauvaise Influence, et quoi de plus ennuyeux de toute façon que les jolies petites histoires proprettes et soit disant poétiques, j'estime que la poésie est partout, même dans le trash et le chaos, même la ou on ne l'attends pas. Alors que peut bien raconter cette drôle d’œuvre dont le titre évoque des personnages qui seraient issus de l'Amérique profonde, tous ces outsiders déglingués mis au ban de la société bien pensante, accros à l'alcool, au tabac, voir même à la drogue? Il s'agit des tribulations ultra déjantées de deux compères tout aussi déjantés et même plus, un certain King chanteur en costume lamé de son état, déclaré mort depuis des années et revenu comme par miracle de l'enfer après un pacte passé avec le Diable, croisant un certain Dean, rocker surfer en bandana accros au gros riffs de guitare et à la bouteille. Le tandem excentrique et très bien assorti niveau réparties cinglantes et trash attitude va alors se lancer dans un road trip complètement fou à bord de la Cadillac rose du chanteur damné, un voyage à travers l'Amérique qui va prendre des allures de remake sous acide du "Sur la route" de Jack Kerouac version postmoderne et qui aurait pour bande son MC5, ZZ Top, les Stooges et Eddie & The Hot Rods.































Pour résumer les grandes lignes de cet ovni tombé de (presque) nul part, je dirais juste "sex, drug and rock'n'roll". Et ce serait faux, puisque un poil trop réducteur, même si le rock est bien la, disséminé ça et la, aussi bien par exemple dans le design des personnages avec Dean le rocker dégingandé qui ressemble comme deux gouttes d'eau au sieur James Osterberg alias Iggy Pop et bien sur le King, parodie évidente d'un certain Elvis. Non, définitivement "White Trash" est bien plus que ce dicton cliché un peu trop entendu, c'est un univers fou, dément, unique, drôle et barré, aussi voluptueux que de mettre deux doigts dans la prise de courant ou de se prendre en pleine face des riffs de guitare saturées lors d'un concert de punk rock endiablé. C'est aussi le manifeste d'un artiste passionné de culture alternative (tatouage, univers heavy metal entre autre) tragiquement disparu en 2004, qui était indissociable de son œuvre, faisant totalement corps avec elle, ressemblant par certains côtés aux personnages atypiques qu'il a créée, un monde très original et plein d'humour noir, qui il faut bien l'admettre, ne plaira pas à tout le monde de par son sujet et son style graphique. J'ai été personnellement enchantée par ce comics hors norme scénarisé avec talent par Gordon Rennie, le genre de bonne surprise un peu trop rare à mon gout en France, mais grâce à des labels avant gardistes qui osent prendre des risques comme 619 en sortant de pareils bouquins, je me dis que l'espoir est permis.

** "White Trash" scénario de Gordon Rennie et dessins de Martin Emond, éditions Ankama, collection Label 619. Lecture conseillée à partir de 15 ans. **






















samedi 30 juillet 2016

Doomboy, l'histoire du guitar hero inconnu

"I try to laugh about it
Cover it all up with lies
I try and
Laugh about it
Hiding the tears in my eyes
'cause boys don't cry
Boys don't cry..."

Boys don't cry, The Cure, 1980

Il y a des auteurs avec lesquels j'ai d'emblée quelques atomes crochus, mais ça j'imagine que vous le saviez déjà chers lecteurs à force de lire mes petites chroniques, des auteurs originaux possédant un style hors norme et inédit, qu'ils soient écrivains ou dessinateurs. Et aujourd'hui justement je vais vous parler de l'un d'entre eux qui combine à merveille les deux disciplines, texte et dessins, il s'agit d'un artiste mexicain incroyablement doué, Tony Sandoval, et dont l'univers sombre rempli de teenage désenchantés avec un je ne sais quoi de fantastique me rappelle un peu celui de Poppy Z Brite, écrivain adorée devant l'éternel par votre serviteur. Je suis tombée sur cet étrange "Doomboy" dont le titre plein de promesses m'a interpellé, magnifique couverture au style à la fois chatoyant et lugubre, et je me suis dit que cet ouvrage avait très largement sa place dans l'Interzone des livres et que le Dr Benway se devait de le prescrire. Partons donc tous ensemble à la découverte du petit monde insolite de Tony Sandoval.


































J'aime les histoires d'ados rebelles, écorchés vifs et turbulents, un peu comme ceux qui peuplent les superbes romans de Poppy Z Brite, les "teenage riot" décrit par Sonic Youth dans leur chanson éponyme, ces jeunes gens farouches plein d'inventivité et de blessures secrètes, comme le héro touchant de "Doomboy". Doomboy, ou plutôt D est un adolescent solitaire passionné de musique rock au style métal et alternatif, une sorte de Kurt Cobain écorché vif jouant pour lui même de la guitare électrique. Mélancolique et secret, D renferme en lui une grande blessure, causée par la disparition de sa petite amie et âme sœur Anny, blessure qui prends la forme d'un trou béant au niveau de son cœur, subtile métaphore de son délabrement intérieur et de sa tristesse immense. La musique lui permettra de lutter contre le désespoir sans fin qui le ronge, jouant sans cesse ses chansons poignantes à la guitare qui sont captées par un vieil émetteur radio et transmises à sa défunte bien aimée dans l'Au Delà, espérant ainsi continuer à vivre d'une certaine manière avec elle. Sauf qu'Anny n'est pas la seule à profiter des talents de D, puisque toute la ville capte et entend ses chansons, chansons commises par un certain Doomboy dit la rumeur. Mais qui est donc ce mystérieux guitar hero inconnu qui fascine et déchaine tant les foules?



























J'ai adoré lire les tribulations tragico-surréalistes de cet ado super attachant avec sa longue tignasse, sa dégaine grunge et son trou béant dans le cœur, les dessins de Tony Sandoval étant absolument superbes et expressifs, mélange de clarté lumineuse et d'esthétique néo goth, à mi chemin entre Tim Burton et Manu Larcenet période Combat Ordinaire. Une certaine douceur dans un univers sombre et triste, comme un merveilleux cauchemar éveillé ou les sentiments sont exacerbés pour ces jeunes à fleur de peau, vivant à travers la musique rock et les riffs de guitare. Un roman graphique subtil et intelligent, beau comme une chanson de Soundgarden, abordant les thèmes délicats de la disparition d'un être cher, la tristesse qui en découle et de la perte de repères avec pudeur et même un certain humour. Une découverte intéressante qui je l'espère vous bouleversera autant que je l'ai été, Doomboy ce héro inconnu, mériterait de figurer au panthéon des musiciens rocks, au côté de Stiv Bators et Kurt Cobain.

** "Doomboy" scénario et dessins de Tony Sandoval, éditions Paquet, collection Calamar. Lecture conseillée à partir de 13 ans **

vendredi 29 juillet 2016

Sunny, ou le soleil noir de la mélancolie urbaine selon Matsumoto

" In my eyes, indisposed
In disguises no one knows
Hides the face, lies the snake
And the sun in my disgrace
Boiling heat, summer stench..."


Black Hole Sun, Soundgarden, 1994

Un manga au titre ensoleillé en ce mois de juillet finissant, je me suis dit que cela pourrait être de circonstance. Oui et non en fait, puisque comme le dit si bien le dicton "il ne faut jamais se fier aux apparences" et c'est bougrement vrai, puisque le dit manga dont je vais parler aujourd'hui n'est pas vraiment un de ces "livres de l'été", vous savez ces ouvrages format poche vendus en pagaille dans les supermarchés sur les têtes de gondole, entre la crème solaire et le kit spécial barbecue, et fleurant bon la plage, la mer, le soleil et le fun total. Oublions toutes ces images d’Épinal et de saison, puisque ce "Sunny" la n'est pas vraiment synonyme de "Let's the sunshine in" de part son sujet et son background, œuvre d'un auteur culte, influent mais méconnu, j'ai nommé Taiyô Matsumoto. Petit tour d'horizon dans un univers urbain à la fois poétique et désenchanté, au doux parfum de béton amer.


































Taiyô Matsumoto est un prodigieux conteur des temps modernes qui sait mieux que quiconque parler des affres de la vie urbaine et de ses jeunes acteurs qui y vivent, souvent marginaux, délaissés par les adultes et livrés à eux mêmes, tels Blanco et Noiro les deux héros très attachants de son (chef) œuvre majeur "Amer Béton". "Sunny" reprends un peu ces thèmes la, urbanisme et jeunes marginaux, en racontant l'histoire poignante d'enfants délaissés par leur parents et forcés de vivre loin d'eux dans un centre d'accueil. Existence un peu monotone au début pour ces jeunes livrés à aux mêmes jusqu’à la découverte d'une vieille épave automobile abandonnée au fond du jardin, une Nissan Sunny. Sorte de subtile métaphore sur 4 roues des enfants du centre puisque abandonnée tout comme eux, "Sunny" va illuminer la vie de chacun, cristallisant ainsi l'envie de s'échapper du quotidien en faisant appel à l'imagination de chacun. De petites tribulations tragi-comiques on l'on est témoin à chaque instant des états d'âme de ces jeunes enfants à qui la vie n'a pas vraiment fait de cadeaux, des enfants dotés de fortes personnalités qui leur permettent de survivre dans la jungle urbaine intense et rude, mais qui au fond d'eux souffrent de réelle solitude et de manque d'affection, on est tellement touchés par leur fragilité décrite de façon simple et pudique que l'envie de verser quelques larmes n'est jamais bien loin. Sunny est loin de ressembler à la De Lorean machine à voyager dans le temps construite par Doc Emmett Brown dans "Retour vers le Futur", mais a sa manière elle va permettre aux enfants de voyager d'une certaine façon.


























Chantre de la poésie urbaine brute et décalée, Taiyô Matsumoto nous livre ici une fois de plus un manga d'une qualité extraordinaire, tant par son scénario attachant et complexe que par son style graphique beau et originale, reconnaissable entre mille, ce qui est l'apanage des plus grands artistes. Un peu comme Kerouac avec ses clochards célestes et autres vagabonds mémorables, il a littéralement créée un type très particulier de personnage, à savoir celui du jeune enfant ou ado marginal doté d'une forte personnalité et vivant en dehors de la société des adultes, et qui se démarque totalement des sempiternels héros de shonen ultra calibrés et fabriqués à la chaine par des mangaka en manque cruel d'originalité. Le genre d'ouvrage qui malgré son vernis apparent de profond désenchantement et de rudesse assumée ne peut que nous bouleverser, mais aussi nous amuser et faire rêver puisque l'imagination tient une place très importante dans cette superbe série de 6 tomes, l'imagination qui permet de lutter contre la noirceur et la violence du quotidien, portant en elle quelques parcelles d'espoir. Taiyô Matsumoto est un très grand mangaka au style unique et original, un artiste d'exception qui créer avec son âme et ses tripes, et que l'on peut ranger illico parmi les plus grands artistes japonais comme l'écrivain Ryu Murakami avec qui il semble partager quelques points communs sur la jeunesse désenchantée et le chaos des villes.

** "Sunny" scénario et dessins de Taiyô Matsumoto, éditions Kana, collection Big Kana, série terminée en 6 tomes. Lecture conseillée à partir de 13 ans ** 


dimanche 17 juillet 2016

Le nénuphar, à l'ombre d'une jeune femme en fleur

"Support the power of women
Use the power of man
Support the flower of women
Use the word
Fuck
The word is love..."

Flower, Sonic Youth, 1985

J'aime décidément beaucoup cette rubrique qu'est "Cinderella's big score" qui, comme vous l'avez certainement compris chers lecteurs, est exclusivement dédiée à toutes ces femmes fortes et exceptionnelles que j'admire beaucoup, qu'elles soient réelles ou fictionnelles, faites de chair et de sang, de papier et d'encre, celles qui vivent envers et contre tout leur vie et leurs rêves, guerilla girls et femmes indépendantes, personnages d'exception et franc tireurs pour qui les mots "honnêteté", "courage" et "liberté" ne sont pas de vulgaires concepts abstraits, mais un vrai lifestyle à part entière, indissociable de leurs personnalités. Je parle souvent de rockstars et autres teenage riot girls qui seraient dessinées par Jamie Hewlett ou Daniel Clowes, personnages fictifs qui me ressemble sur beaucoup de points et qui sont liés corps et âmes à la Mauvaise Influence, mais aujourd'hui je vous parlerais d'un personnage bien réel, une jeune femme combattante, vraie warrior en puissance qui m'a bouleversé et aussi beaucoup amusé avec une première œuvre graphique traitant d'un sujet qu'elle connait très bien hélas et pas vraiment amusant de surcroit puisqu'il s'agit du cancer. J'avais déjà parlé de ce sujet par le passé avec un roman graphique du nom de "Chauve(s)", écrit et dessiné par Benoit Desprez qui raconte les tribulations de sa compagne atteinte du cancer du sein sur un ton rafraichissant et décalé, car d'une part je m'y intéresse depuis quelques années déjà même si personnellement je n'ai jamais été concernée par la maladie et puis je trouve qu'il y a encore trop peu d'ouvrages de qualité concernant les témoignages de (sur)vivants, pour certains cancer rimant avec pleurer dans les chaumières ou carrément relégué au rang de vilain tabou dont il ne faut jamais prononcer le nom. Alors que briser le silence reste à mon sens un moyen imparable de faire face à l'adversité et d'exprimer des choses fortes, et c'est ce que fait très bien notre héroïne "flower girl" du jour.


































Difficile d'imaginer le scénario de la maladie quand on est bien portant, impensable de s'entendre dire un beau jour "vous êtes atteint d'un cancer" puisque cela n'arrive qu'aux autres et jamais à soi même parait il. Et pourtant, Chloé Renault est passé par cette étape la, piégée à l'âge de 22 ans par cette créature invisible et sournoise que l'on appelle pudiquement "crabe", ennemi redoutable qui dans son cas s'appelle cancer du sinus, bourgeonnant sans limite telle une fleur du mal. Une fleur du mal qui à éclos peu à peu en elle, venant de l'inconnu car malgré les avancées considérables de la médecine, on ne peut pas exactement dire pourquoi une telle chose nous arrive soudain, et c'est bien ça le drame. Un drame qui faut avoir vécu de l'intérieur et au quotidien pour le comprendre véritablement, et Chloé en parle à la fois avec tant d'humour, de joliesse et de lucidité dans son carnet de route, sobrement intitulé "le nénuphar", décrivant ainsi sa propre fleur du mal qui lui a causé tant de péripéties. Bon nombre de témoignages sur le cancer pullulent sur les étals des libraires, du plus humble au plus "people", cependant la plupart d'entre eux ne reflètent qu'une vision assez simpliste très hagiographique et larmoyante de la maladie histoire de bien faire pleurer dans les chaumières et sans réellement vouloir faire avancer les choses, personnellement ce genre d'ouvrages m'agacent au plus haut point, ces sentiments factices de pitié et de commisération dégoulinante très peu pour moi. Le livre de Chloé Renault se démarque complètement de ceux la, puisqu'au delà du simple témoignage, il apporte une dimension nouvelle et pleine de fraicheur avec son lot d'anecdotes parfois amusantes sur un sujet qui ne l'est pas forcément, des petites astuces bien senties, et surtout une vraie belle réflexion personnelle sur le cancer et ce qui en découle, la vie quotidienne, les traitements lourds et contraignants, les relations sociales souvent compliquées, les questions intimes et la crainte d'une rechute, telle une épée de Damoclès perpétuelle au dessus de la tête.





























Un bel ouvrage au ton rafraichissant et décalé comme on aimerait en voir plus souvent dans les librairies, agréable à lire avec ses petits dessins drôles et pertinents accompagnant un texte tout aussi drôle et pertinent. Le genre d'initiative salvatrice pour faire prendre conscience à tout ceux et celles qui prennent peur devant cette redoutable maladie qu'est le cancer, on plutôt devrais je dire LES cancers, que rien ne vaut le courage et la franchise, et surtout de ne JAMAIS cesser de vivre envers et contre tout, espérer sans cesse, sans forcément tomber dans des délires new age de baba cool type méthode Coué complètement vides de sens. La maladie cela n'arrive pas qu'aux autres, nous pouvons tous être concernés un jour ou l'autre, mais cela ne doit jamais briser notre envie d'exister et de continuer le combat, même tenaillé par le doute et la peur du lendemain, et cela Chloé l'explique très bien de son point de vu de (sur)vivante. Et plus qu'un simple carnet de route aux allures de journal intime illustré, ce "nénuphar" explique aussi aux néophytes quelques termes techniques concernant le cancer de façon ludique avec un petit glossaire détaillé. A mettre entre toutes les mains, malades ou bien portants, pour tout les vivants et les êtres humains de 15 à 150 ans dès la rentrée prochaine!

** "Le nénuphar, carnet de route avec un cancer", textes et dessins de Chloé Renault, éditions Marabout. Disponible à partir du 5 octobre **

** Le site officiel de l'association http://www.lenenuphar.fr/

jeudi 14 juillet 2016

Teddy ou la vie dans les bois, histoire d'un ours qui voulait vivre sa vie

"Please, don't lock me up, please, let me stay free
If you let me go, I promise I'll never come back
I'll take a ship across the sea
I'm young and poor and yes I'm afraid
But I'll stay myself and keep my vagabond ways..."


Vagabond ways, Marianne Faithfull, 1999

J'ai décidé aujourd'hui de rédiger une chronique un peu particulière sous la forme d'un hommage personnel, hommage que je souhaitais absolument rendre à un héros, une personnalité attachante mais dont la vie ne fut que synonyme d'enfermement et de souffrances, un de ces êtres purs que l'on ne peut qu'aimer sincèrement mais qui fut la cible de gens sans scrupules qui l'ont exploités toute sa vie par cupidité pour finalement le laisser mourir dans la solitude et la maladie, je veux bien entendu parler d'Arturo alias "l'ours polaire le plus triste du monde" comme l'avait surnommé les médias, et dont l'histoire tragique a révolté le monde entier qui découvrait ainsi des conditions de captivité horribles que personne ne pourrait (et devrait!) supporter. J'ai été personnellement très touché par la bouleversante histoire de cet adorable ours maltraité, capturé par les hommes dans sa tendre jeunesse et n'ayant connu rien d'autre que la vie entre 4 murs d'un zoo argentin sinistre, bien loin de sa banquise natale et de ses semblables, privé de l'essentiel, la liberté. Arturo le prisonnier qui tel Billy Hayes enfermé abusivement dans sa geôle turque dans les 70', n'aspirait qu'à une seule chose, pouvoir partir et vivre libre, mais contrairement à cet homme, il ne pu jamais prendre "l'express de minuit" pour se faire la belle et sa fin fut dramatique puisque la maladie l'a définitivement vaincu. Et c'est pour cela que je vais vous parler d'un court roman incroyablement beau et poignant qui raconte un peu l'histoire d'Arturo tant les similitudes sont troublantes, un roman russe magnifiquement écrit par Iouri Kazakov dont je suis très fière d'en faire ici la chronique.


































Arturo, l'histoire d'un ours... Troublant de constater que son histoire (vraie) rejoint sur beaucoup de point celle (fictionnelle) d'un certain Teddy, un ours lui aussi, mais brun et vivant plutôt dans la Toundra qu'au milieu des icebergs du Pôle Sud. Dans la Toundra, en fait pas vraiment puisque Teddy est un ours de cirque, qui fut capturé très jeune par les hommes et enrôlé de force pour devenir une attraction artistique, privé de liberté et de ses frères ours vivant dans la forêt. Il va vivre ainsi plusieurs années captif et dompté par les hommes, une existence terne et sans éclat d'ours saltimbanque habitué à obéir, jusqu'au jour ou poussé par une envie de changer de vie et une certaine soif de liberté, il réussit à s'enfuir, retrouvant sa forêt natale et la nature qui lui parait au tout début étrange et sauvage pour lui qui est habitué depuis toujours à la routine et au confinement dans une cage. Il va réapprendre peu à peu la vie libre et indépendante, s’aguerrir et retrouver ses instincts de bête sauvage, oubliant petit à petit sa vie d'alors ou il était l'esclave des hommes qui ne voyaient en lui qu'un moyen de gagner de l'argent et divertir les foules.




























L'histoire de Teddy m'a vraiment arraché quelques larmes, tant ses tribulations sont bouleversantes aussi bien dans sa vie d'artiste de cirque du début que dans son nouvel état d'ours libre dans la forêt, dépeinte ici sous les traits d'un environnement à la fois féerique et effrayant, chaleureuse et rude typiquement slave, un hymne à la nature belle et violente. On est réellement secoués sans jamais sombrer dans le mélodrame ou le pathos gratuit, Iouri Kazakov raconte juste une histoire simple et belle avec un certain sens du lyrisme qui prend aux tripes, une histoire universelle puisqu'elle concerne tout les êtres vivants du monde privés de liberté. Après avoir refermé ce merveilleux et court roman, j'y ai vu l'histoire d'Arturo, mais aussi de tout les autres malheureux animaux capturés par certains hommes sans moralité et jetés en pâture dans des parcs zoologiques ou des cirques, des êtres à qui on a volé la liberté, chose essentielle pour l'équilibre de chacun que l'on soit humain ou animal. Un bel hymne à la liberté, un plaidoyer pour avoir le droit de choisir et mener sa vie comme on l'entend, loin de la soumission et de la dictature d'autrui, que n'aurait certainement pas renié Henry David Thoreau avec son "Walden ou la vie dans les bois". R.I.P Arturo...

** "Teddy, histoire d'un ours" de Iouri Kazakov, traduit du russe par Alain Capon, illustrations de Bernard Jeunet, éditions Ecole des Loisirs. Lecture conseillée à partir de 9 ans **

samedi 2 juillet 2016

Thumbelina, le conte de fées bizarre et merveilleux de Ciou

"For all the time spent in that room 
The doll's house, darkness, old perfume 
And fairy stories held me high on 
Clouds of sunlight floating by..."


Matilda mother, Syd Barrett, 1967

Je ne suis pas vraiment une aficionado des contes de fées, que ce soient les versions "officielles" écrites par les plus grands comme les frères Grimm, Charles Perrault et Andersen, ou les abominables copies hyper édulcorées revues et corrigées par monsieur Walt Disney pleines de belles princesses énamourées qui n'attendent qu'une seule chose, la venue de leur prince charmant, et le happy end idéal de circonstance sur le mode "ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants". Bon certes, j'extrapole et exagère sans doute un peu, puisque les contes de fées ne sont pas forcément et uniquement synonymes de bon sentiments dégoulinants de paillettes et autres petits cœurs en sucre rose, bien loin de la même, il suffit de lire l'excellent livre de Bruno Bettelheim "Psychanalyse des contes de fées" et certains contes d'Andersen comme le très poignant "La Petite Sirène" avec sa fin tragique et déchirante à souhait, à faire passer "Love Story" ou "Roméo et Juliette" pour la dernière des bluettes joyeuses. Ce que je n'apprécie pas vraiment en fait dans cette histoire de contes, sans mauvais jeux de mots, c'est le décorum un peu kitsch qui les enrobent, j'en veux pour preuve les nombreux bouquins illustrés (exception faite pour les illustrations de Gustave Doré bien entendu, qui restent un must absolu et inégalable en la matière!) au faciès ultra classique et "déjà vu", bien mignons et jolis certes, mais pas du tout dans le style avant-gardiste, étrange et outsider que j'affectionne tant. Quelle ne fut pas ma surprise alors quand je suis tombée sur un étrange ouvrage à la couverture pleine de promesses, un conte de fées d'Andersen justement, connu sous le nom de "Thumbelina" ("La Petite Poucette" en VF) et illustré par une artiste toulousaine mé(mal)connue que j'apprécie énormément et que je suis avec une certaine assiduité depuis ses débuts fracassants dans les années 2000. Bienvenus dans le petit monde bizarre et merveilleux de la fée Ciou(xsie) avec ses drôles de Banshees!


















Poucette ("Tommelise" en danois, et "Thumbelina" pour la version internationale!) est une toute petite fille, au sens propre comme au figuré, née d'une graine offerte à une femme en mal d'enfants par une gentille sorcière sensible à la détresse de cette dernière. Comme son nom l'indique, Poucette est toute petite, de la taille d'un pouce, et va vivre mille aventures périlleuses remplies de tribulations étranges et de personnages qui le sont tout autant, avant de rencontrer l'amour, en la personne du Prince des Fleurs et qui fera d'elle sa Reine des Fleurs. Un très joli conte mettant en avant certains valeurs comme le courage, la persévérance et le droit à la différence même, être petit et menu ne signifiant pas forcément être condamné à rester faible, passif et seul dans la vie. Ciou, jeune artiste française née à Toulouse en 1981 et connue pour son style graphique unique à la fois mignon, sombre et psychédélique, nous propose ici une intéressante relecture des aventures de Poucette, fidèle à l'esprit sombre et désenchanté d'Andersen avec ses dessins très particuliers, superbes et inquiétants, très creepy cute, sorte de croisement magique entre un manga underground, un tableau psychédélique qui aurait été peint par Timothy Leary et un univers gothique, plein de romantisme sombre et de poésie macabre. Un univers incroyable qui concorde plutôt bien avec celui d'Andersen, rendant au passage cette petite princesse entourée de freaks terriblement attachante, dans une version bilingue en français et en anglais, ce qui apporte une petite touche internationale plutôt sympa à l'ensemble.















Depuis que je possède un exemplaire de ce "Thumbelina", j'avoue le lire et le feuilleter inlassablement tant je suis fan "hardcore" et plus que convaincue de ce style graphique absolument superbe et original, les qualificatifs élogieux ne peuvent que fuser quand j'admire le travail de Ciou, un travail incroyable et reconnaissable entre mille, bien qu'influencé par toute une génération d'artistes que j'affectionne aussi beaucoup, que ce soit Junko Mizuno (artiste japonaise connue elle aussi pour ses relectures kawaii et trash des contes de fées), Tim Burton, les peintres américains Mark ryden et Camille Rose Garcia, et des influences multiples et bigarrées comme l'univers des gothiques lolita, le psychédélisme, le creepy cute, les cabinets de curiosités, les Art toys, la BD underground, la scène "poster rock", et l'alternatif en général, le genre de choses pas franchement hyper commerciales et grand public, et c'est tant mieux, vive les artistes libres et audacieux comme Ciou qui s'expriment de façon originale et personnelle, faisant fi aux conventions et à l'establishment de l'Art sans aspérités et sans saveur. Un joli cadeau à s'offrir ou à offrir à tout amateur de conte de fées décalés, d'originalité, d'Art stylé et de beaux livres en général.


** "Thumbelina" dessins et scénario de Ciou, d'après Andersen, texte bilingue français/anglais, éditions Scutella. Lecture conseillée à partir de 13 ans **

** Le site de l'illustratrice pour découvrir son fascinant univers! http://www.ciou.eu/ **

mercredi 29 juin 2016

Lady killer, ma tueuse bien aimée

" Cos When I'm Talking Talking Personality Personality
And You're A Prima Ballerina On A Spring Afternoon
Change On Into The Wolfman Howling At The Moon Awoooh
Got A Personality Crisis Ya Got It While It Was Hot
So Hard Y'know Frustration And Heartache Is What You Got
Talking 'Bout Personality..."

New York Dolls, Personality Crisis, 1973

Ce que j'aime par dessus tout, dans la vie (réelle et fictionnelle) et sur mon blog ce sont les personnalités borderline, marginales, insaisissables, nageant totalement à contre courant des normes, se fichant du qu'en-dira-t-on édicté par les chantres du politiquement correct et du soit disant bon gout, j'adore les personnages originaux, qu'ils soient réels ou fictionnels, ceux qui évoluent dans des sphères libres ou l'indépendance, l'originalité, la créativité débridée et la franchise ne sont pas que de vains mots ou des concepts sans relief, avec un faible pour les guerilla girls, celles qui fracassent tout sur leur passage, tel Attila le Hun en Doc Martens et robe babydoll à la Courtney Love, que ce soit les clichés liés à leur condition de femme façon "sois belle, tais toi et fais moi un sandwich femme!" et les rôles ultra bien définis de type second couteau/jolie potiche/belle plante/maman attentionnée/teenage décérébrée/trentenaire désespérante et désespérée. Et pour démarrer en beauté les hostilités et inaugurer de surcroit une nouvelle rubrique consacrée à la gente féminine (et non pas à "lafâme", attention puisque ici il ne sera JAMAIS question de culture girly bien genré, celle popularisée entre autre par les magazines féminins et Margaux Motin, mais je reviendrais la dessus dans une chronique ultérieure), laissez moi vous présenter aujourd'hui l'une de ce femmes fracassantes, une certaine "Lady Killer" qui n'a pas vraiment froid aux yeux, née de l'imagination de deux auteurs superbement inspirés et bien barrés aussi, Joëlle Jones (dessin) et Jamie S.Rich (scénario).


































Mais qui est donc Lady Killer? Une femme très wasp des 50' en apparence bien sous tout rapport, sorte de croisement entre Peg "Ambassadrice Avon" Bogg du film "Edward aux mains d'argent" pour le job et Jackie Kennedy-Onassis pour le look étrangement similaire. Voila pour les apparences, qui comme le dit si bien le proverbe peuvent être trompeuses, puisque notre héroïne, répondant au délicieux nom de Josie Schuller n'est pas vraiment celle que l'on croit, exhalant une troublante ambivalence et une personnalité bien complexe. Mère de famille attentionnée et épouse exemplaire le jour, il s'avère qu'elle est aussi une redoutable tueuse à gage, méthodique et impitoyable, zigouillant toutes celles et ceux qui se mettent en travers de son chemin avec un flegme et une froideur stupéfiante. Une double vie totalement assumée et une personnalité multiple flirtant avec la schizophrénie mais bien définie, Josie n'apparaissant pas vraiment comme une femme folle et dérangée avec l'écume aux lèvres et le couteau entre les dents, juste bonne à enfermer dans l'asile psychiatrique le plus proche avec traitement aux électrochocs et camisole de force, c'est tout le contraire même, et c'est ce qui fait sa force et son atout principal, jouer à fond sur les apparences trompeuses et toujours rester maîtresse d'elle même en mode control freak. Une double existence pleine de tribulations mouvementées pour notre héroïne au visage d'ange et aux pimpants tailleurs 50' toujours impeccables, assassinant sans remord et avec la même légèreté que si elle préparait une tarte aux pommes pour le gouter de ses enfants, un paradoxe trash et charmant que cette Josie alias la femme aux deux visages, insaisissable, mystérieuse, belle, déterminée et ultra intelligente, les qualificatifs ne peuvent que fleurir pour décrire un tel personnage atypique à souhait, en décalage avec l'état d'esprit politiquement correct de l'Amérique des 50', conservatrice et très à cheval sur la répartition des rôles homme/femme ou chacun doit rester à sa place, les hommes se devant d'être virils en maniant armes à feux et autorité patriarcale, et les femmes douces et compatissantes responsables d'un foyer parfait ou règnent l'ordre et la propreté.






























En résumé, nous avons affaire à un comics inclassable et atypique, avec une héroïne tout aussi inclassable et atypique, ce qui est franchement fort séduisant et apporte une indéniable touche de fraicheur dans un univers graphique ou les femmes n'ont pas toujours les meilleurs rôles, même si les mentalités un brin machiste de la BD tendent à évoluer vers de meilleurs sentiments. Les deux auteurs offrent ici un bel écrin à la hauteur de ce personnage original qui est bien loin de ressembler à une desperate housewife ou alors version LSD et carnages sanglants, le genre que l'on aimerait voir plus souvent dans des fictions toutes catégories confondues. Un univers de folie et de violence qui peut faire froid dans le dos, mais pas forcément celui des meurtres sanglants commis par Josie, car sa petite vie banale d'épouse parfaite tendance Samantha Stephens dans "ma sorcière bien aimée" est bien plus flippante au demeurant. Doté d'un scénario passionnant et d'un graphisme de style vintage, ce "Lady killer" tome 1 est une franche réussite, et la suite est attendue avec une impatience non dissimulée. Sympathy for lady vengeance!

** "Lady Killer" dessins de Joëlle Jones et scénario de Jamie S.Rich, éditions Glénat Comics. Public adulte, à partir de 16 ans.


mercredi 22 juin 2016

Psychonautes, all the kids wanna sniff some glue...!

"In a churchyard by a river
Lazing in the haze of midday
Laughing in the grasses
And the graves
Yellow bird, you are not long
In singing and in flying on
In laughing and in leaving..."

Cirrus Minor, Pink Floyd, 1969

Un bel OVNI (Ouvrage Volubile Non Identifié) qui fait aujourd'hui son entrée en fanfare, enfin plutôt sur fond de "More", bande originale composée par les Pink Floyd en 1969 pour le film culte éponyme de Barbet Schroeder, so trippy et un brin dark narrant la fin du rêve hippie et l'addiction absolue aux paradis artificiels du genre durs et poudrés. Drôle d'introduction en vérité pour parler d'un roman graphique et non pas d'un groupe mythique des 60' et 70', mais je dois bien avouer que l'écoute du (très) bouleversant "Cirrus Minor" m'a un peu (beaucoup) inspiré pour cette chronique au ton doux amer et résolument psychédélique, tout comme les paroles de cette chanson en apparence gaie, lumineuse et bucolique mais qui reflète en réalité un certain mal de vivre, une mélancolie palpable et une envie de s'évader, un voyage lointain dans un monde fantastique et coloré,"anywhere out of the world" comme l'a si joliment écrit Charles Baudelaire alias monsieur Spleen. Le bien nommé "Psychonautes" est un peu la synthèse graphique de tout cet esprit la, oscillant entre douceur et désespoir, joliesse et noirceur, mignonnerie et "trash attitude", un vrai paradoxe que je vais m'empresser de (psych)analyser pour vous chers lecteurs. Bienvenus au royaume des "navigateurs de l'âme" et allons voguer avec eux.


































Bienvenus dans un monde à la fois mignon et totalement désenchanté, une île étrange peuplés de petits personnages présentant l'aspect de gentilles peluches rassurantes, mais l'habit ne faisant pas le moine comme chacun le sait, les dites "gentilles peluches" s'avèrent être des créatures sombres et torturés, totalement connectées sur le mode borderline et dépressif, accros aux idées noires et aux substances psychotropes, façon Hunter S Thompson perdu dans Las Vegas Parano qui serait tout d'un coup peuplé de petites souris, oiseaux, chiens, ours et éléphants. Au milieu de cette cour des miracles tendance "Factory" improbable, survit un étrange loustic, le bien nommé Birdboy, petit oisillon de son état, et qui désespère d'arriver un jour à voler, multipliant les tentatives sans résultat, ce qui l'enfonce chaque jour un peu plus dans la dépression et la consommation massive de psychotropes. Son amie Dinky, jeune souris frêle et désespérée, semble être aussi au bout du rouleau, elle ne supporte plus sa vie morose et sans grand intérêt, et dévastée par la mort de son père, elle refuse de se lever le matin pour aller à l'école et ne rêve que d'ailleurs, fuir vite et loin, "anywhere out of the world" sonnant comme un leitmotiv évident dans son esprit tourmenté. Nos deux héros, totalement lucides et conscient du désastre de leurs vies respectives projettent donc de partir, avec l'espoir vain d'atteindre un monde meilleur, ou l'échec, la souffrance morale et la solitude ne seront plus que de lointains et mauvais souvenirs.
































Dessiné et mis en scène par Alberto Vasquez, un artiste espagnol né en 1980 à la Corogne et connu dans son pays pour ses travaux d'illustrations au style décalé, que ce soit pour la presse ou la bande dessinée, cet étrange et très poétique "Psychonautes" est sa première bande dessinée traduite et éditée en France, révélant tout la quintessence d'un artiste inspiré et original, engagé et franc-tireur aussi puisque ce roman graphique agit comme une sorte de poil à gratter en dénonçant ça et la quelques problèmes majeurs en phase avec notre époque, comme les catastrophes écologiques (l'île ou vivent nos héros n'a rien de paradisiaque, bien au contraire), le chômage, le rejet des outsiders, la solitude, l'abus de paradis artificiels pour fuir la réalité insupportable, comme jadis une certaine Christiane F et les enfants de Bahnhof Zoo à Berlin, accros à l'héroïne pour tenter de zapper une existence synonyme de long cauchemar éveillé, vouée à l'échec et au chaos. Un roman graphique plutôt sombre donc, sorte de croisement entre Tim Burton et Salad Fingers personnage creepy à souhait, mais qui n'est pas dénué d'un certain humour (noir) plutôt délectable, une farce pessimiste, une tragicomédie humaine qui aurait pu être écrite par Edgar Allan Poe himself, bourrée de références philosophiques sur la vie, la mort, l’espérance, le spleen et l'envie de partir ailleurs pour mieux se reconstruire, et qui dit en substance et sans clichés bas de gamme que la lumière se trouve forcément au bout du tunnel, et que même dans le marasme le plus total l'espoir peut s'épanouir telle une fleur au milieu des décombres.

** "Psychonautes" dessins et scénario de Alberto Vasquez, éditions Rackham. Lecture conseillée à partir de 16 ans.**