jeudi 18 août 2016

Psychometrer Eiji, never lose your mind

"Tangled in the midst of all the trust
The way you pissed inside
The brain file technology drives
Show me you dots now..."

You are a light, Pavement, 1999

Si il y a bien une chose que j'adore faire, c'est exhumer certains ouvrages oubliés, perdus dans les limbes des "arrêts de commercialisation" décidés par des éditeurs sans cesse en quête de sang neuf et de nouveautés, davantage préoccupés pour la plupart par la santé de leur tiroir caisse et de leur réputation d'être toujours à la pointe de la tendance éditoriale, choses que je comprends aisément en tant que libraire car il ne faut pas se leurrer, une maison d'édition est avant tout une entreprise qui doit tourner et pouvoir faire vivre ses employés, pas de lever de drapeau de ma part mais un simple constat et rappel d'une évidence. Seulement voila, certains éditeurs décident d'arrêter de publier tel ou tel ouvrage, ou telle série, pour divers motifs (financiers, juridiques, ect...) et c'est franchement dommage, preuve en est avec le manga dont je vais vous parler aujourd'hui, une série publiée au Japon entre 1996 et 2000 et sortie chez nous en 2001 par le biais du très prolifique éditeur Kana, qui est, mais faut il encore le rappeler l'éditeur de l'inénarrable "Naruto" (dont je ne fait pas vraiment parti de la "fanbase") et qui a surtout eu le bon gout de faire découvrir aux français le travail du grand Togashi Yoshihiro avec "Yû Yû Hakusho" et "Hunter X Hunter", une série classé un peu à tort dans les "shonen" (manga destiné aux jeunes garçons) aux accents policiers et fantastiques, j'ai nommé "Psychometrer Eiji", une œuvre fichtrement originale comme on n'en fait (presque) plus.

 
































Pour tout vous dire, j'aime bien certaines séries fantastico-policières type "Mentalist", "Dexter" ou "Les Médiums" (à ne surtout pas confondre avec "Médium" jouée par Patricia Arquette) même si je trouve parfois qu'il y a un peu trop de "copycats" plus ou moins réussies et inspirées de ce genre de fictions, qui veulent toutes surfer sur la tendance florissante du "thriller fantastique", donnant souvent des résultats pas très heureux, voir pénibles et facilement oubliables. Ce qui n'est pas du tout le cas de "Psychometrer Eiji"; même si et vous avez raison de le souligner,  n'est pas une série télé mais une fiction de papier, un manga en 22 tomes qui a récolté son petit succès critique et publique en France et un statut d’œuvre culte au Japon avec la production d'un jeu vidéo, de deux "dramas" (adaptation d'un anime en film live, une chose très courante et populaire en Asie) et d'une suite parue en 2011 et qui est actuellement en cours de publication. Mais késako-de-quoi-ça-cause-exactement? Laissez moi vous introduire dans le quotidien en apparence banale de Eiji Asuma, lycéen lambda et bagarreur, mais qui possède un don tout à fait particulier qui est celui de la psychométrie, aptitude lui permettant via un contact avec un objet ou une personne de recevoir sous forme de flash les fragments de la vie de celle ci. Un étrange pouvoir gardé secret, puisque seuls la demi sœur d'Eiji et son meilleur ami Yusuke sont au courant, cependant une série de crimes affreux commis par un certain Moebius va bouleverser sa petite vie de lycéen sans histoires, puisque dans la foulée il va faire la rencontre d'une charmante inspectrice pleine de sagacité qui finit par découvrir son secret, l'amenant ainsi à collaborer avec la police pour résoudre des enquêtes difficiles. Un duo de choc qui va apprendre à composer ensemble, avec leurs différences de personnalité, et ponctuellement aidé par divers personnages hauts en couleurs et bien barrés pour certains.


























En clair et pour résumer, de l'action, de l'humour, des enquêtes criminelles, un pouvoir étrange, un tandem de choc, et un excellent scénario bien exploité qui donne envie de lire la série d'un trait tant les personnages sont attachants et intéressants, que ce soit notre psychometrer Eiji ou les seconds couteaux indispensables qui l'accompagnent dans ses tribulations d'enquêteur malgré lui, on rit beaucoup de certaines situations ubuesques et bien barrées tout en gardant à l'esprit que le crime n'est jamais bien loin. J'ai particulièrement apprécié le style graphique qui change un peu de ce que l'on voit d'habitude dans les shonen, avec ce trait net et affirmé qui met en valeur une belle galerie de personnages, ce qui est vraiment appréciable car étant personnellement une aficionado des mangas "seinen" au ton plus adulte et construit. Une série vraiment géniale et qui mérite son statut d’œuvre culte, qui ravira tout les vrais fans de manga ayant envie de se mettre quelque chose de bien consistant sous la dent, ainsi que les amateurs de séries policières bien ficelées, mon seul regret étant qu'elle ne soit actuellement plus éditée en France, Kana ayant stoppé la commercialisation de ce titre en 2010, mais on peut encore le trouver relativement facilement par le biais de l'occasion, et vous ne le regretterez pas, parole de madame Mauvaise Influence!

** "Psychometrer Eiji" dessins de Masahi Asaki et scénario de Yûma Andô, éditions Kana, collection Dark Kana. Série complète en 22 tomes.

jeudi 4 août 2016

White Trash, White Light/White Heat

"I'm gonna break out of the city
Leave the people here behind
Searching for adventure
It's the kind of life to find
Tired of doing day jobs
With no thanks for what I do... "

Do anything you wanna do, Eddie & the Hot Rods, 1977

L'été, et c'est bien connu, n'est pas vraiment la saison adéquate pour les sorties de nouveautés "hors format" transpirant d'originalité et de politiquement incorrect, ce serait même plutôt le contraire puisque il parait que la saison du soleil, des grandes chaleurs et des vacances serait synonyme de légèreté, d'évasion et de "lectures faciles", enfin c'est ce que pensent certains éditeurs depuis plusieurs années, considérant l'été comme une période creuse propice au fameux "temps de cerveau de disponible" digne d'une publicité Coca-Cola, avec mise en avant des incontournables "opération de l'été" dans les têtes de gondole, romans Pocket type Lévy/Musso/Bourdin, livres à petits prix et bandes dessinées à licence. Sauf que votre serviteur interzonienne Lula, en sa qualité de libraire qui n'aime pas lire comme tout le monde, cherche, farfouille sans cesse et aime dénicher LE bouquin hors norme, l'ovni qui passe souvent inaperçu, planqué entre deux tranches de Largo Winch et autre produit ultra marketé du même acabit, sans vouloir offenser MM Van Hamme et Francq bien sur. Et aujourd'hui je vais vous parler d'un comics rock'n'roll à souhait et bien ravagé du bulbe, édité par le courageux éditeur Ankama, qui sous son label mythique "619" regroupe déjà un paquet d'excellents titres comme "The Grocery", "Tank Girl", "Mutafukaz" ou "Doggybags". Bienvenus dans cette "anti lecture de l'été", sur la route trash et choc ou Marc Lévy et ses petits copains seraient abandonnés sans scrupules sur le bas côté!


































White Trash... Comme une légère intuition que le titre annonce déjà la couleur d'un comics lui même super haut en couleurs, œuvre d'un dessinateur de talent et touche à tout, le regretté Martin Emond, artiste garantie maximum rock'n'roll déjanté et franc tireur qui ne faisait pas vraiment dans la dentelle, mais ça on s'en fiche complètement puisque la bienséance et le politiquement correct ne sont pas vraiment les mamelles de La Mauvaise Influence, et quoi de plus ennuyeux de toute façon que les jolies petites histoires proprettes et soit disant poétiques, j'estime que la poésie est partout, même dans le trash et le chaos, même la ou on ne l'attends pas. Alors que peut bien raconter cette drôle d’œuvre dont le titre évoque des personnages qui seraient issus de l'Amérique profonde, tous ces outsiders déglingués mis au ban de la société bien pensante, accros à l'alcool, au tabac, voir même à la drogue? Il s'agit des tribulations ultra déjantées de deux compères tout aussi déjantés et même plus, un certain King chanteur en costume lamé de son état, déclaré mort depuis des années et revenu comme par miracle de l'enfer après un pacte passé avec le Diable, croisant un certain Dean, rocker surfer en bandana accros au gros riffs de guitare et à la bouteille. Le tandem excentrique et très bien assorti niveau réparties cinglantes et trash attitude va alors se lancer dans un road trip complètement fou à bord de la Cadillac rose du chanteur damné, un voyage à travers l'Amérique qui va prendre des allures de remake sous acide du "Sur la route" de Jack Kerouac version postmoderne et qui aurait pour bande son MC5, ZZ Top, les Stooges et Eddie & The Hot Rods.































Pour résumer les grandes lignes de cet ovni tombé de (presque) nul part, je dirais juste "sex, drug and rock'n'roll". Et ce serait faux, puisque un poil trop réducteur, même si le rock est bien la, disséminé ça et la, aussi bien par exemple dans le design des personnages avec Dean le rocker dégingandé qui ressemble comme deux gouttes d'eau au sieur James Osterberg alias Iggy Pop et bien sur le King, parodie évidente d'un certain Elvis. Non, définitivement "White Trash" est bien plus que ce dicton cliché un peu trop entendu, c'est un univers fou, dément, unique, drôle et barré, aussi voluptueux que de mettre deux doigts dans la prise de courant ou de se prendre en pleine face des riffs de guitare saturées lors d'un concert de punk rock endiablé. C'est aussi le manifeste d'un artiste passionné de culture alternative (tatouage, univers heavy metal entre autre) tragiquement disparu en 2004, qui était indissociable de son œuvre, faisant totalement corps avec elle, ressemblant par certains côtés aux personnages atypiques qu'il a créée, un monde très original et plein d'humour noir, qui il faut bien l'admettre, ne plaira pas à tout le monde de par son sujet et son style graphique. J'ai été personnellement enchantée par ce comics hors norme scénarisé avec talent par Gordon Rennie, le genre de bonne surprise un peu trop rare à mon gout en France, mais grâce à des labels avant gardistes qui osent prendre des risques comme 619 en sortant de pareils bouquins, je me dis que l'espoir est permis.

** "White Trash" scénario de Gordon Rennie et dessins de Martin Emond, éditions Ankama, collection Label 619. Lecture conseillée à partir de 15 ans. **