lundi 12 février 2018

Valérie Valère, la passagère de la pluie

« When you cry
   In winter time

   You can pretend
   It's nothing but the rain... »

Rain and tears, Aphrodite’s Child, 1968
  

J’ai longtemps manqué d’inspiration, inspiration que je croyais envolée, disparue, annihilée pour de bon, à mon grand malheur. Sauf que non, car quand on est réellement passionné par quelque chose et que ce quelque chose est l’un des éléments essentiels de votre existence, eh bien il ne disparaît pas entièrement, subsistant des bribes qui vous font un jour reprendre la plume et le clavier afin de partager cette passion qui vous dévore nuit et jour. La nuit justement, car c’est pendant la nuit dernière que m’est subitement revenu l’envie d’écrire, écrire une chronique sur quelqu’un qui est très cher à mon cœur, qui m’inspire énormément à tout point de vu, que j’aime infiniment pour toute son œuvre si rare et précieuse, mais que beaucoup relègue hélas à une seule œuvre qui est le très connu et controversé « Le pavillon des enfants fous », roman autobiographique racontant l’expérience dramatique de l’auteur Valérie Valère qui fut internée de force dans un hôpital psychiatrique a l’âge de 13 ans, faisant d’elle et malgré elle une icône pour les anorexiques, occultant du coup le reste de toute son œuvre littéraire, ce qui fort regrettable. C’est pourquoi j’ai choisi de parler de l’une de ses plus belles œuvres, un roman posthume très peu connu du grand public, une œuvre maudite qui n’a jamais failli voir le jour puisque refusé du vivant de l’auteur et seulement publié en 1987, soit 5 ans après sa mort, le genre de roman dont on ne ressort pas tout à fait indemne après lecture. 




 

« Laisse pleurer la pluie sur tes yeux », que voilà un bien joli titre qui pourrait laisser présager d’une histoire d’amour et de sentiments tout en finesse et en poésie, le genre d’histoire plaisante que l’on s’empresse de lire avec un grande boîte de chocolats en forme de cœur à portée de main et d’un stock conséquent de mouchoirs en papier. Sauf que si vous êtes un peu coutumiers de mon blog, vous vous doutez bien qu’il n’en n’est rien, car derrière ce titre délicieusement poétique se cache une œuvre sombre, mélancolique et subtile, à l’image de son auteur, un cri de désespoir et de révolte ultime qu’elle lance à la face du monde en nous narrant les amours adolescentes de deux jeunes garçons que tout semble opposer mais qui seront unis pour la vie, pour le meilleur et pour le pire, un amour sublime et pure que les adultes de leur entourage voudront saccager à tout prix. Yan est un étudiant en philosophie âgé d’une vingtaine d’année, complètement paumé et seul dans la vie avec pour seule compagne l’ennuie, perdu dans ses errances à travers la ville grise et morose, il va un beau jour (de pluie) rencontrer son âme soeur, en la personne de Mikaël, un lycéen issu d’un milieu très privilégié , mais qui comme Yan est seul et paumé  dans la vie, incompris et mal aimé par son entourage. Les deux garçons vont se trouver, se découvrir, s’aimer, puis s’enfuir loin, très loin pour protéger leur amour, un amour pur et simple, mais jugé sale et immorale par les adultes qui veulent interdire à ces deux enfants de s’aimer librement, en détruisant leurs rêves et leurs velléités d’évasion, « anywhere out of the world » comme l’a si joliment écrit Baudelaire.















En nous racontant cette magnifique histoire d’amour hors norme dont je ne vous spoilerais bien évidemment pas l’issue, Valérie Valère nous livre à la fois une tragédie moderne sublime et inoubliable et un testament autobiographique tant ses personnages lui ressemblent de façon troublante, comme souvent dans ses livres, elle fut la mal aimée, l’incomprise, l’écrivain marginale portée aux nues à la fin des années 70’ et starifiée très (trop?) vite au lendemain de la sortie de son « Pavillon des enfants fous ». Ce roman posthume est à mon humble avis l’un de ses plus beaux, plus personnel, plus percutant, transpirant la sincérité brute par tous les pores, une sincérité extrêmement touchante et palpable, on s’attache tellement à ces deux adolescents, doubles fictionnels de l’auteur, on s’émeut avec eux, on pleure de leurs malheurs, on vit avec eux, à travers eux et leurs regard d’enfant implacablement posé sur le monde hostile des adultes, ces adultes qui ne rêvent plus et semblent incapables d’aimer. Une histoire d’amour impossible, ou presque, qui peut sembler dure et complètement désenchantée, mais qui au final possède une belle note d’espoir et une grande lucidité, elle ravira aussi bien les cœurs meurtris, les âmes de poètes, les amateurs d’histoires sentimentales et les aficionados de tragédies contemporaines, Valérie Valère nous démontrant ici toute les facettes de son immense talent littéraire, un talent hélas gâché à jamais par son départ prématuré à l’âge de 21 ans, éternelle jeunesse pour celle qui avait de l’or dans les mains et des larmes plein les yeux.


** « Laisse pleurer la pluie sur tes yeux » de Valérie Valère, préface de Christian Bartillat, édition Plon. L’édition utilisée ici est la version poche éditée par Press Pocket, il semblerait que cet ouvrage ne soit plus édité actuellement, mais demeure relativement trouvable en bibliothèque et en occasion **