lundi 10 janvier 2022

Big Baby, ou l’étrange bébé de Mr Charles Burns

 «  I used to con you
     My baby baby… »

Feedtime, « Baby baby » 1987

Un grand nouvelliste que ce Charles Burns. Et puis d’abord, nouvelliste ou Novelist? Nouvelliste, un terme à présent quelque peu désuet pour désigner un auteur de nouvelles, un écrivain bien souvent en phase avec son époque qui s’attache à recueillir et à répandre des nouvelles de-ci de-là, bonnes ou mauvaises, joyeuses ou mélancoliques, réalistes ou un brin fantasmagoriques, flatteuses ou sarcastiques. La bonne nouvelle et sans mauvais jeux de mots, c’est que tout ceci illustre tellement bien l’univers si particulier de l’homme dont il est question aujourd’hui, un graphic novelist au style reconnaissable entre mille et dont la patte graphique si souvent imitée mais jamais égalée, nous entraine dans les méandres et les limbes d’un monde à la fois attirant et effrayant, un peu comme un long cauchemar peuplé de freaks  qui étrangement ne nous flanquerait pas la frousse et paradoxalement nous donnerais encore plus envie de plonger dans une rêverie sans fin et de ne jamais se réveiller totalement! C’est ce que m’inspire personnellement les œuvres de cet énigmatique Mr Burns, qui méritait enfin sa chronique dans ma modeste tribune, et tout particulièrement ce très étrange ( oui, il y a et aura certainement une redondance du terme!) « Big Baby » avec sa superbe couverture tout aussi… étrange et qui annonce d’entrée de jeu la couleur de ce roman graphique ou graphic novel pour les puristes, à mi chemin entre Barnum et son freak show et storytelling du 3ème type… 




















« Big Baby »… plutôt que « Black Hole », choix éditorial très personnel pour parler de ce génial artiste qu’est Charles Burns, chantre d’une certaine avant-garde picturale et de la bande dessinée underground américaine avec Daniel Clowes, Jaime Hernandez et même Raymond Pettibon (même si ce dernier est davantage plasticien que graphic novelist, son style percutant et provocateur est à ranger selon moi dans la même « catégorie » d’Art underground!). « Big Baby » parce que sûrement moins connu que le cultissime « Black Hole » et que l’un des partis pris de ce blog est justement de parler des outsiders, des œuvres moins connues du grand public, car où est donc l’intérêt de parler d’une œuvre certes fascinante, mais dont tout le monde ou presque en chante déjà les louanges à travers pléthores d’articles et de reviews? Et si « Black Hole » est un aperçu absolument percutant et abrupte de l’univers de Charles Burns, je trouve que « Big Baby » va encore plus loin dans cette démarche percutante et abrupte, à travers 4 récits un brin foutraques mettant en scène un jeune garçon nommé Tony alias « Big Baby » donc tant sa physionomie indescriptible et ses goûts personnels pour les jouets et films effrayants sont révélateurs d’un état d’esprit un peu borderline. Ce paradoxe de l’effrayant et de l’attirant est révélé ici par la personnalité de Tony, qui est à la fois terriblement naïf avec son âme d’éternel enfant impressionnable mais également très attiré par tout ce qui est glauque et particulièrement horrifique, comme une sorte de double personnalité schizoïde, de dualité contradictoire qui entraîne notre (anti) héros à vivre presque malgré lui des aventures fantasmagoriques dans son morne quotidien d’une banlieue américaine banale et anonyme, la fameuse banlieue tellement typique, si proprette et bien lisse en apparence, où l’on rencontre pourtant les cas les plus bizarres d’êtres humains que la Terre n’est jamais porté ainsi que les comportements et autres états d’esprits les plus noirs, sombres et tordus, à faire passer John Wayne Gacy et ses charmants émules sociopathes pour des enfants de chœur! Entre rêve (ou plutôt cauchemar!) et réalité, fantasmes de créatures mi extra-terrestres mi films d’horreur tendance série Z qui apparaissent soudainement dans un quotidien qui ressemble à tout sauf à un quotidien lambda, ces 4 récits nous entraine dans la vie bizarroïde et trépidante de Tony le grand bébé, sorte de Oskar Matzerath improbable et version US, avec qui il partage cet état d’esprit d’éternel enfant qui refuse de grandir et fasciné par tout ce qui est abominable et repoussant. 




















En conclusion, et bien qu’il soit difficile de conclure aussi rapidement face à un tel sommet artistique, au style graphique absolument percutant et magnifique, LE style imparable de monsieur Charles Burns qui en génie absolument du 9eme Art Américain ne se contente pas uniquement d’être brillant avec ses seuls dessins puisqu’il est également un prodigieux conteur avec ses storytellings captivantes dans lesquels nous plongeons volontiers à corps perdus, en conclusion je dirais que ce « Big Baby » avec sa galerie de personnages détraqués à souhait, bizarres et superbement iconoclastes, à mi chemin entre un film de Ed Wood, un freak show tendance Tod Browning et un épisode des « Contes de la Crypte » versus Godzilla est une très belle découverte, une rencontre du 3ème type qui enthousiasmera bien évidemment les lecteurs de l’iconique « Black Hole », mais aussi les amateurs de films noirs fauchés et séries Z tendance Nanarland, les amoureux de la contre culture américaine biberonnés à Robert Crumb et Daniel Clowes, mais aussi tout les lecteurs plus « lambdas » désireux de découvrir quelque chose de différent, une œuvre sortant des sentiers battus, aux antipodes d’une certaine ligne claire ou d’œuvres plus politiquement correctes qui pullulent sur les têtes de gondole des librairies! Une certaine vision de l’Amérique contemporaine croquée par le talent de Charles Burns aussi, maitre absolu en matière de critiques incisives de ses semblables, mais toujours avec un grand sens de l’humour (noir bien entendu!) et une certaine poésie macabre.

********* « Big Baby » dessins et scénario par Charles Burns, édition française Cornélius *********

N.B: les œuvres de Charles Burns sont toutes éditées aux États Unis par le fabuleux éditeur Fantagraphics Books situé à Seattle, et qui édite entre autre la crème de la bande dessinée underground américaine telle que Daniel Clowes, Jaime Hernandez ou Chris Ware.