dimanche 7 novembre 2021

The Bell Jar, ou le chant du cygne désespéré de Sylvia Plath

Put on your coat and your little crown
That's the crown that you get when you fall down
Hey baby, won't you wave goodbye
As you go off to fuck your weird red light?
Rotten sun spits on your raw hide
As you dance to the sound of a suicide
Oh yeah, you laugh as you try to to hide
That you're the rat poison daughter of a suicide...
 
Hole, "Loaded", 1991
 
Beaucoup de choses ont déjà été dites, évoquées et écrites à propos de Sylvia Plath, sur son œuvre poétique puissante et sublime, sa vie chaotique, sa personnalité complexe, évoquant à elle toute seule le mythe de la femme torturée et sacrifiée sur l'autel impitoyable du patriarcat, éternel second rôle vivant dans l'ombre d'un mari poète et volage et reconnue tardivement par ses pairs, notamment par les féministes qui firent d'elle une magnifique figure de proue des mouvements libérateurs de la femme émergents des années 60 et 70 aux USA. J'ai personnellement une tendresse particulière pour Sylvia Plath ainsi qu'une très grande affinité, me reconnaissant un peu en elle sur pas mal d'aspects et je me devais donc moi aussi à mon tour de dire, d'évoquer et d'écrire sur cette grande dame (mal)connue de la littérature américaine contemporaine, parler d'elle comme une sœur, une défunte amie, une éternelle inspiratrice à qui je dois certainement mon indéfectible amour de la poésie et des belles lettres, un double littéraire à la sensibilité exacerbée et à fleur de peau, perpétuellement en lutte pour survivre dans un monde impitoyable et cruel qui fait fi des âmes sensibles et écorchées. Faire une chronique sur "The Bell Jar" (oui, "The Bell Jar" car, préférant et de loin le titre original de l’œuvre que sa pénible traduction française "La cloche de détresse" beaucoup moins percutante et un brin larmoyante à mon gout, même si elle sonne plutôt juste et reste proche du titre originel!), unique roman et œuvre ultime de ma très chère Sylvia apparaissait comme une évidence, et c'est avec une joie immense et un bonheur non dissimulé que je vais vous en parler aujourd'hui dans cette modeste tribune qui est la mienne et aussi la votre, très chers amis lecteurs.















Esther Greenwood est une jeune femme idéaliste de 19 ans, fraichement débarquée de sa province natale et arrivant le temps d'un été à New York, heureuse lauréate d'un concours d'écriture qui lui fait entrapercevoir, ou plutôt espérer la possibilité d'une grande carrière littéraire et/ou d'un brillant avenir dans la haute société culturelle de Big Apple ou tout n'est qu'apparence, opulence, beaux colifichets, glamour et fêtes sans fin. Une vie de rêve en apparence pour cette jeune femme sensible et possédant déjà un fort talent littéraire et une vision assez réaliste et acerbe de la vie et des rapports humains, surtout vis à vis de la gente masculine. A la fois séduite et désabusée par tout ce qui l'entoure, Esther va de soirées mondaines en réceptions somptueuses, grisée par l'agitation et la futilité ambiante et entourée par d'autres jeunes femmes elles aussi gagnantes du dit concours littéraire. Une vie de rêve temporaire qui va s'achever tristement et même dramatiquement pour notre chère Esther/Sylvia, puisque celle ci va sombrer dans une profonde dépression qui va l'emporter violemment telle une lame de fond implacable lorsqu'elle quittera New York. Traitements de choc, médecins incrédules et froids, désespoir abyssal et tentatives de suicide multiples, voila ce que sera son nouveau quotidien, bien loin des ors de New York et de son glamour exacerbé, une vie bien difficile pour une toute jeune femme idéaliste et paumée dans un monde cruel et patriarcal, surtout celui des années 50, une existence chaotique marquée du sceau de la maladie mentale et de la marginalité, sans amour et sans légèreté, ou l'espoir, modeste peine à montrer sa présence tout au long du récit fait par Esther, à la fois actrice, narratrice et spectatrice de sa propre déchéance. Une vision effroyablement réaliste et d'une précision presque chirurgicale de ce que sont la maladie mentale, la tristesse, le suicide et la dépression, la cruauté des rapports humains, la déshumanisation en général et la vie dans un asile particulièrement sordide ou l'on "soigne" les malades récalcitrants à coups d’électrochocs et autres chimies castratrices d'émotions. Surtout quand on a entraperçu l'espoir d'une vie meilleure et d'un avenir radieux et léger dans une ville aussi étincelante que New York City, que l'on a cru en l'amour et à toutes ces choses qui rendent la vie si belle et attrayante, que l'on pensait devenir un écrivain célèbre et reconnue par ses pairs, tout cela rappelle et d'une manière brute et implacable que le bonheur n'existe pas vraiment ou alors n'est pas fait pour perdurer, que tout est illusoire, futile, vain et que tout peut basculer du jour au lendemain dans l'horreur absolue.




 










Unique et ultime roman écrit par Sylvia Plath en 1963, soit quelques mois avant sa mort tragique, "The Bell Jar" est quelque sorte le chant du cygne désespéré de l'auteur, une autobiographie à peine voilée et annonciatrice de sa funeste fin, Esther Greenwood étant le double fictionnel de Sylvia Plath, sans cesse traversée par des émotions communes, une projection non idéalisée d'elle même, âme à jamais blessée, maladie de l'esprit qui ne guérira pas, deux sœurs jumelles à tout jamais unies par le même malheur de vivre, ou plutôt de non vivre, perdues dans un monde à la fois dur et superficiel. Plus coutumière à nous livrer de la poésie délicate et habitée (comme par exemple le sublime "Arbres d'Hiver" à lire absolument!) des nouvelles percutantes ou des écrits plus personnels comme son journal intime, Sylvia Plath frappe fort, et même très fort avec ce roman dont les qualificatifs me manquent, tellement il est incroyable, puissant, bouleversant, radical, implacable et superbement bien écrit! Un unique roman que je qualifierai presque de testament, ou l'on assiste impuissant à la déchéance morale de la poétesse, pardon de la jeune femme aspirante écrivain, nous devenons les témoins de sa descente aux enfers que rien ne semblait vraiment annoncer au début du roman, ou tout n'étaient que party sélects et frivolité New Yorkaise tendance stilettos et beaux atours siglés, aux antipodes total d'un sordide hôpital psychiatrique de province avec ses traitements de choc et sa folie ordinaire. Un roman fort qui nous livre aussi un témoignage très réaliste et glaçant sur la place des femmes dans la société, leur supposé rôle, stéréotypes de genre particulièrement exacerbés dans les années 50, bien avant les mouvements féministes des années 60 qui ont peu à peu changé tout cela en se battant pour le droit des femmes, considérées alors comme des hystériques et des citoyennes de seconde zone. Et pour finir, un roman essentiel de la littérature américaine contemporaine que je qualifierais de chef d’œuvre, à posséder et à découvrir absolument, on est littéralement happé malgré la dureté du sujet, et surtout vraiment touché, que l'on soit femme ou homme, par la détresse de l'auteur et de son double fictionnel. 


******* "La Cloche de Détresse" (titre original "The Bell Jar") par Sylvia Plath, édition française Gallimard, collection l'Imaginaire *********

A noter qu'il existe deux adaptations cinématographiques du roman, l'une étant sortie en 1979 et l'autre plus récente en 2017 réalisée par Kirsten Dunst, mais qui à mon avis ne retransmettent pas toute la puissance du roman et la complexité du personnage d'Esther Greenwood, bien que correctement réalisés, tout ceci reste bien en deçà de la pensée "Plathienne" !

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