dimanche 28 novembre 2021

Industrial Music, l’obscénité et la fureur selon Genesis P-Orridge

It’s impossible to advise anybody
Be courageous, take it easy, just show trust
Be reasonnable, be an old ghost weeping
You didn’t see me weeping on the floor 
You didn’t see me weeping on the floor

Throbbing Gristle, « Weeping » 1978


Une petite chronique musicale aujourd’hui dans cette modeste tribune qui est la mienne, délaissant très momentanément la littérature pour me plonger corps et âme dans un océan sonore mystérieux et envoûtant, hermétique et froid à première vue, ou plutôt à première écoute, pas facile d’accès, le genre «d’anti pop » total et à contre courant des valeurs musicales affectionnées par le grand public. Drôle de façon pour introduire un ouvrage me direz vous, étrange manière de vanter les mérites et de chanter les louanges d’un livre dont je vais vous parler aujourd’hui et que je n’ai même pas encore présenté! Un livre mystérieux et envoûtant, hermétique et froid à première vue, pas facile d’accès et plutôt volumineux,  à l’image du style musical que j’ai plus ou moins évoqué en début de chapitre, un style musical, ou plutôt un courant appelé musique industrielle. N’étant pas du tout critique musical mais simple admiratrice et esthète éclairée, il ne s’agira donc pas d’une analyse pure et dure ou d’un historique de la musique contemporaine d’Avant Garde à travers les âges, tout ceci n’étant pas dans mes cordes ou mes préoccupations, ce sera davantage une présentation de ce courant artistique que j’affectionne particulièrement et une sorte d’hommage personnel à l’une des artistes les plus fascinantes,  atypiques et magiques qui soit, un personnage protéiforme, une icône provocatrice aux mille visages ayant vécu plusieurs vies artistiques intenses et dont la vie réelle a malheureusement pris fin en ce funeste 14 mars 2020, j’ai nommée Genesis P-Orridge. Sachant qu’il y a très peu d’ouvrages, notamment dans la langue de Molière, qui parle de musique industrielle ou de groupes « obscures » tels que Throbbing Gristle, Coil ou Psychic TV, rendons grâce à Éric Duboys, auteur de ce fascinant (et volumineux!) « Industrial Music for Industrial People » et plongeons nous à corps perdu dans ce vaste océan sonore, cette symphonie dissonante et superbement chaotique. 




















































Industrial music. Musique industrielle. Que désigne donc ce terme un brin froid, glaçant et déshumanisé? Un courant musical complètement en phase avec son époque justement, froide, glaçante et déshumanisée, à mi chemin entre le punk et le post punk, comme une réponse sarcastique et vitriolée à la fin du rêve hippie, éternellement perdu dans les limbes new âge de l’ère du Verseau et d’un hypothétique monde idéal qui n’a jamais montré le bout de son nez. Comme un doigt d’honneur plein de rage et de volonté de montrer ce qu’il y a de plus sale, sombre et dépravé dans la psyché humaine, la velléité de provoquer des remous intenses, de cracher tout son ressentiment, son infinie tristesse teintée de colère et sa profonde déception en jouant les jusqu’au-boutistes de l’Art, explorant sans cesse et défrichant des terrains sonores jusque là inconnus. Throbbing Gristle est de ceux là. Genesis P-Orridge, Cosey Fanni Tutti, Chris Carter et Peter Christopherson, 4 musiciens, 4 artistes inclassables et iconoclastes à souhait ont à jamais changé la face du monde musicale en ce milieu et presque fin des années 70. Une apparition divine et salvatrice de ce groupe de jeunes têtes brûlées talentueux et ultra créatifs made in England et ayant une vision radicalement différente de ce que devrait être la musique contemporaine, complètement à contre courant de la pop music commerciale et autres exhibitions de super groupes en vogue, déconstruisant de façon étonnante et radicale les sonorités habituelles pour en faire une cacophonie sublime, une symphonie dissonante et encore jamais entendue, souvent répétitive et toujours bien bruitiste à souhait, accompagné de performances du même tonneau, brutales, violentes et sans concessions. Une sorte de théâtre de la cruauté cher à Antonin Arnaud version post moderne et musicale, ou les influences littéraires ne sont pas en restes, puisque l’esprit de William S. Burroughs règne en permanence sur l’Art magnifiquement chaotique de Throbbing Gristle. Un univers aux multiples influences artistiques, littéraires et musicales qui lui aussi inspirera plus tard d’autres artistes, littéraires et musicaux. Une sorte de chant de Maldoror encore plus violent et radical que l’original avec un Lautréamont version pandrogyne à sa tête, une artiste caméléon qui se fait appeler sous l’énigmatique nom de Genesis P-Orridge, une femme née homme mais une femme qui repousse sans cesse les limites de ce que doit être la bienséance et la soit disant normalité de l’être, une femme libre et qui n’a jamais eu peur d’être elle même, un free spirit qui semble être l’allégorie de la création ultime, l’essence même de l’Avant Garde et de l’Art avec un grand A.


















































J’ai été plus que séduite et enchantée par cet ouvrage très complet et extrêmement bien documenté sur un courant musical et artistique qui personnellement me passionne énormément et dont on parle peu, alors que paradoxalement le nombre de livres sur la musique en général ne cesse de croître ces derniers temps sur les étals des librairies! Mais il faut bien reconnaître que Genesis P-Orridge sera toujours moins vendeur qu’un Mick Jagger, David Bowie ou Amy Winehouse, dont les « livres révélations » et autres « biographies hagiographiques inédites » sont sans arrêt publiées par les mêmes maisons d’éditions plus intéressées par le profit et l’argent facile que la prise de risques et l’amour de l’Art! Rendons grâce donc à Camion Blanc, courageuse maison d’édition franc tireuse qui depuis 1992, soit presque 30 ans maintenant, nous enchante avec ses publications qui ont le mérite de sortir des sentiers battus et de proposer autre chose que des livres prémâchées sur tout ces artistes établis, certes talentueux, mais dont l’omniprésence donne un peu la nausée à force et l’envie d’explorer d’autres horizons musicaux. Un grand merci à l’auteur de cet incroyable pavé si riche et tellement agréable à lire, le talentueux Éric Duboys que j’ai découvert à la lecture de ce livre, un grand merci et une reconnaissance éternelle pour avoir écrit un tel ouvrage, sûrement le seul existant en français sur Throbbing Gristle et la musique industrielle, j’ai été enchantée de tomber là dessus un jour complètement par hasard, lors de mes habituelles déambulations en librairie et espace vinyles. A découvrir absolument si vous êtes comme moi, un passionné du genre, un must absolu pour tout les amoureux de l’Avant Garde, de la culture alternative et/ou de musiques expérimentales. 

******** « Industrial Music for Industrial People » par Éric Duboys, édition Camion Blanc *********

N.B: Éric Duboys est également l’auteur du roman « Les terminaisons nerveuses »  édité par La Clé à Molette ainsi que de 2 autres ouvrages sur la musique industrielle publiés par Camion Blanc. 

















dimanche 7 novembre 2021

The Bell Jar, ou le chant du cygne désespéré de Sylvia Plath

Put on your coat and your little crown
That's the crown that you get when you fall down
Hey baby, won't you wave goodbye
As you go off to fuck your weird red light?
Rotten sun spits on your raw hide
As you dance to the sound of a suicide
Oh yeah, you laugh as you try to to hide
That you're the rat poison daughter of a suicide...
 
Hole, "Loaded", 1991
 
Beaucoup de choses ont déjà été dites, évoquées et écrites à propos de Sylvia Plath, sur son œuvre poétique puissante et sublime, sa vie chaotique, sa personnalité complexe, évoquant à elle toute seule le mythe de la femme torturée et sacrifiée sur l'autel impitoyable du patriarcat, éternel second rôle vivant dans l'ombre d'un mari poète et volage et reconnue tardivement par ses pairs, notamment par les féministes qui firent d'elle une magnifique figure de proue des mouvements libérateurs de la femme émergents des années 60 et 70 aux USA. J'ai personnellement une tendresse particulière pour Sylvia Plath ainsi qu'une très grande affinité, me reconnaissant un peu en elle sur pas mal d'aspects et je me devais donc moi aussi à mon tour de dire, d'évoquer et d'écrire sur cette grande dame (mal)connue de la littérature américaine contemporaine, parler d'elle comme une sœur, une défunte amie, une éternelle inspiratrice à qui je dois certainement mon indéfectible amour de la poésie et des belles lettres, un double littéraire à la sensibilité exacerbée et à fleur de peau, perpétuellement en lutte pour survivre dans un monde impitoyable et cruel qui fait fi des âmes sensibles et écorchées. Faire une chronique sur "The Bell Jar" (oui, "The Bell Jar" car, préférant et de loin le titre original de l’œuvre que sa pénible traduction française "La cloche de détresse" beaucoup moins percutante et un brin larmoyante à mon gout, même si elle sonne plutôt juste et reste proche du titre originel!), unique roman et œuvre ultime de ma très chère Sylvia apparaissait comme une évidence, et c'est avec une joie immense et un bonheur non dissimulé que je vais vous en parler aujourd'hui dans cette modeste tribune qui est la mienne et aussi la votre, très chers amis lecteurs.















Esther Greenwood est une jeune femme idéaliste de 19 ans, fraichement débarquée de sa province natale et arrivant le temps d'un été à New York, heureuse lauréate d'un concours d'écriture qui lui fait entrapercevoir, ou plutôt espérer la possibilité d'une grande carrière littéraire et/ou d'un brillant avenir dans la haute société culturelle de Big Apple ou tout n'est qu'apparence, opulence, beaux colifichets, glamour et fêtes sans fin. Une vie de rêve en apparence pour cette jeune femme sensible et possédant déjà un fort talent littéraire et une vision assez réaliste et acerbe de la vie et des rapports humains, surtout vis à vis de la gente masculine. A la fois séduite et désabusée par tout ce qui l'entoure, Esther va de soirées mondaines en réceptions somptueuses, grisée par l'agitation et la futilité ambiante et entourée par d'autres jeunes femmes elles aussi gagnantes du dit concours littéraire. Une vie de rêve temporaire qui va s'achever tristement et même dramatiquement pour notre chère Esther/Sylvia, puisque celle ci va sombrer dans une profonde dépression qui va l'emporter violemment telle une lame de fond implacable lorsqu'elle quittera New York. Traitements de choc, médecins incrédules et froids, désespoir abyssal et tentatives de suicide multiples, voila ce que sera son nouveau quotidien, bien loin des ors de New York et de son glamour exacerbé, une vie bien difficile pour une toute jeune femme idéaliste et paumée dans un monde cruel et patriarcal, surtout celui des années 50, une existence chaotique marquée du sceau de la maladie mentale et de la marginalité, sans amour et sans légèreté, ou l'espoir, modeste peine à montrer sa présence tout au long du récit fait par Esther, à la fois actrice, narratrice et spectatrice de sa propre déchéance. Une vision effroyablement réaliste et d'une précision presque chirurgicale de ce que sont la maladie mentale, la tristesse, le suicide et la dépression, la cruauté des rapports humains, la déshumanisation en général et la vie dans un asile particulièrement sordide ou l'on "soigne" les malades récalcitrants à coups d’électrochocs et autres chimies castratrices d'émotions. Surtout quand on a entraperçu l'espoir d'une vie meilleure et d'un avenir radieux et léger dans une ville aussi étincelante que New York City, que l'on a cru en l'amour et à toutes ces choses qui rendent la vie si belle et attrayante, que l'on pensait devenir un écrivain célèbre et reconnue par ses pairs, tout cela rappelle et d'une manière brute et implacable que le bonheur n'existe pas vraiment ou alors n'est pas fait pour perdurer, que tout est illusoire, futile, vain et que tout peut basculer du jour au lendemain dans l'horreur absolue.




 










Unique et ultime roman écrit par Sylvia Plath en 1963, soit quelques mois avant sa mort tragique, "The Bell Jar" est quelque sorte le chant du cygne désespéré de l'auteur, une autobiographie à peine voilée et annonciatrice de sa funeste fin, Esther Greenwood étant le double fictionnel de Sylvia Plath, sans cesse traversée par des émotions communes, une projection non idéalisée d'elle même, âme à jamais blessée, maladie de l'esprit qui ne guérira pas, deux sœurs jumelles à tout jamais unies par le même malheur de vivre, ou plutôt de non vivre, perdues dans un monde à la fois dur et superficiel. Plus coutumière à nous livrer de la poésie délicate et habitée (comme par exemple le sublime "Arbres d'Hiver" à lire absolument!) des nouvelles percutantes ou des écrits plus personnels comme son journal intime, Sylvia Plath frappe fort, et même très fort avec ce roman dont les qualificatifs me manquent, tellement il est incroyable, puissant, bouleversant, radical, implacable et superbement bien écrit! Un unique roman que je qualifierai presque de testament, ou l'on assiste impuissant à la déchéance morale de la poétesse, pardon de la jeune femme aspirante écrivain, nous devenons les témoins de sa descente aux enfers que rien ne semblait vraiment annoncer au début du roman, ou tout n'étaient que party sélects et frivolité New Yorkaise tendance stilettos et beaux atours siglés, aux antipodes total d'un sordide hôpital psychiatrique de province avec ses traitements de choc et sa folie ordinaire. Un roman fort qui nous livre aussi un témoignage très réaliste et glaçant sur la place des femmes dans la société, leur supposé rôle, stéréotypes de genre particulièrement exacerbés dans les années 50, bien avant les mouvements féministes des années 60 qui ont peu à peu changé tout cela en se battant pour le droit des femmes, considérées alors comme des hystériques et des citoyennes de seconde zone. Et pour finir, un roman essentiel de la littérature américaine contemporaine que je qualifierais de chef d’œuvre, à posséder et à découvrir absolument, on est littéralement happé malgré la dureté du sujet, et surtout vraiment touché, que l'on soit femme ou homme, par la détresse de l'auteur et de son double fictionnel. 


******* "La Cloche de Détresse" (titre original "The Bell Jar") par Sylvia Plath, édition française Gallimard, collection l'Imaginaire *********

A noter qu'il existe deux adaptations cinématographiques du roman, l'une étant sortie en 1979 et l'autre plus récente en 2017 réalisée par Kirsten Dunst, mais qui à mon avis ne retransmettent pas toute la puissance du roman et la complexité du personnage d'Esther Greenwood, bien que correctement réalisés, tout ceci reste bien en deçà de la pensée "Plathienne" !

jeudi 7 octobre 2021

Obsession Blanche, ou l'Alph-Art littéraire de Valérie Valère, White Drama et Série Noire

White light, White light goin' messin' up my brain
White light, Aww white light its gonna drive me insane
White heat, Aww white heat it tickle me down to my toes
White light, Aww white light I said now goodness knows, do it
 
The Velvet Underground, "White Light/White Heat, 1968.
 
 
Alph-Art littéraire, White Drama, tragédie de la panne blanche... Quel écrivain, critique, journaliste, poète, blogger et même polémiste n'a jamais été confronté à cette chose terrible qu'est le manque soudain d'inspiration, l'évaporation de son esprit créatif, l'annihilation suprême de son talent littéraire? Il m'arrive moi même d'être temporairement confronté à une non envie d'écrire et à un blackout créatif, et cela même quand je dois parler du travail des autres, moi qui ne suis pas à proprement parler un écrivain, mais plutôt un modeste critique qui se contente de faire éclore sa passion dévorante pour les belles lettres, l'Avant Garde et l'Art subversif en général. C'est un peu pour cela que aujourd'hui j'ai décidé de faire une chronique abordant le thème "difficile" de la page blanche, et aussi pour une raison beaucoup plus importante je dois bien l'avouer, celle de (re) parler de l'un de mes écrivains chouchous et adorés (non pas William S.Burroughs!), la grande, la très belle et très talentueuse Valérie Valère, splendide astre noir de la littérature française contemporaine, tragiquement disparue à l'orée des 80'. J'avais déjà parlé de cette chère Valérie V dans une chronique présentant l'un de ses livres posthumes, le très plus percutant et personnel "laisse pleurer la pluie sur tes yeux", œuvre méconnue du grand public qui ne jure que par "Le Pavillon des Enfants Fous" relatant son passé d'anorexique internée de force en hôpital psychiatrique au milieu des années 70. Sauf qu'ici, et vous l'avez sans doute compris depuis longtemps déjà, très chers lecteurs, on ne fait pas dans le facile, le putassier et le mainstream, nous adorons nager à contre courant et parler des "faces B"et de toutes ces œuvres fascinantes pas faciles d'accès qui ne plaisent pas forcément à la majorité et aux médias classiques. "Obsession Blanche" en fait justement parti, et c'est avec un immense plaisir que je vais vous présenter le dernier roman sorti du vivant de notre amie Valérie.






















"Obsession Blanche" donc... Un joli titre qui dissimule une histoire bien noire, ou plutôt qui exprime avec brio ce qu'il a de plus noir dans l'âme humaine, salement dépravée et à la dérive, une humanité en perte de repères totales, ou l'amour pur et les sentiments n'existent pas, ou les gens sont seulement condamnés dès leur naissance à subir et à mourir, étouffés par le mal de vivre et le ressentiment, dans un quotidien sordide de vacuité ou les sentiments et les états d'âmes n'ont pas leur place. Et cela Valérie Valère l'a très bien compris et l'a malheureusement vécu, elle en parle même à longueur de romans et de poèmes, déversant son infinie tristesse et sa colère légitime sur des centaines et des milliers de feuilles, qui parfois se retrouvent blanches... Comme celle de Gene Carl, jeune écrivain idéaliste et un brin rêveur, sorte de double fictionnel de Valérie, qui se retrouve un jour confronté au drame de la page blanche, paralysé par le manque soudain d'inspiration, il ne peut donc plus écrire ce fameux second roman tant attendu de la part des écrivains ayant eu un immense succès avec leur première œuvre! Un drame intime et littéraire qui va se muer en une véritable obsession et une quête effrénée pour trouver enfin cette storytelling parfaite qui lui fait affreusement défaut et en faire le chef d’œuvre tant attendu, une errance oscillant toujours entre fiction et réalité, fantasmes et désillusions, amour contrarié et conquêtes décevantes. Car Gene est un pur, un véritable poète maudit des temps modernes, perdu entre son art défaillant et son amour pour Prisca, incarnation parfaite du prince charmant des temps moderne, à la fois attentionné et pervers, jouant un jeu amoureux tellement ambigu à la limite du machiavélisme pour parvenir à ses fins, lui le bel homme au corps parfait et au visage d'ange qui trouble notre jeune écrivain, le poussant même dans ses derniers retranchements, entre désespoir et folie auto destructrice. La folie, justement parlons en, puisque ce sera elle qui scellera en quelque sorte la destinée de notre héro, un héro qui aurait pu devenir celui de son propre roman tant sa vie réelle et fantasmée est... un véritable roman à elle toute seule!









 












C'est toujours un immense bonheur et honneur de parler de Dame Valérie dans cette modeste tribune qui est la mienne, une joie profonde et sans borne de parler de ses œuvres si fascinantes et particulières, minutieusement choisies par ses "moins connues et grand public". "Obsession Blanche", troisième et dernier roman sorti du vivant de l'auteur en fait justement parti de ces œuvres, n'ayant pas eu le succès escompté à sa sorti en 1981 chez Stock, malgré l'aura de Valérie Valère, fortement médiatisée dès 1978 avec la parution du célébrissime "Pavillon des Enfants Fous". Un roman plutôt difficile d'accès, tant par le sujet abordé et l'écriture, le style narratif au ton avant gardiste pour l'époque peut paraitre assez déroutant, on oscille sans arrêt entre fiction et réalité, comme si nous étions dans le cerveau bouillonnant de Gene Carl, une sorte de voyage intime et intérieur, une ombilic des limbes chère à Antonin Artaud très tortueuse et parfois malaisante, on est sans cesse bousculés et épouvantés même devant toute cette peinture sombre de l'âme humaine et de toute sa splendide dépravation. Pourtant ce n'est qu'un simple miroir que nous tends Valérie Valère, observatrice désabusée de son temps et de ses tristes contemporains, femme insaisissable aux mille visages, genres et noms, que ce soit Gene, Malika, Vera, Magnificia ou Eléonore, celle qui livre ici son chant du cygne et son Alph-Art littéraire pour notre plus grand bonheur.

***** "Obsession Blanche" par Valérie Valère, éditions Stock, collection Le Livre de Poche ******

dimanche 26 septembre 2021

Oncle Vania, ou le drame de la non existence selon Anton Tchekhov chapitre 1

Life is hard
And so am I
You'd better give me
Something so I don't die

 Eels, "Novocaine for the soul", 1996.

Chronique un peu particulière aujourd'hui puisqu'il s'agira en fait d'une double chronique, d'un exercice de style en deux partis, réunissant deux œuvres qui à première vue pourraient n'avoir aucun liens, si ce n'est un auteur commun, le grand, l'immense, le cultissime Anton Pavlovitch Tchekhov, ou Tchekhov pour les intimes. Un diptyque "Tchekhovien" qui commence tout de suite par un premier chapitre que je souhaitait à contre courant puisque ne respectant pas du tout la chronologie classique et habituelle, cet "Oncle Vania" ( ou "Diadia Vania" en V.O) dont il sera question aujourd’hui est postérieure à l’œuvre qui vous sera très prochainement présenté dans une future chronique, soit le deuxième chapitre! En espérant que mes "explications" et mon parti pris soient compris par vous tous, très chers lectrices et lecteurs, j'avoue avoir été très inspirée et touchée ces derniers temps par la vision si particulière de l'existence et des rapports humains dépeints par Tchekhov, que ce soit à travers ses "histoires grinçantes", sa "Cerisaie", sa "Mouette" ou encore ses "3 sœurs". Mon choix s'est donc porté sur cet intriguant "Oncle Vania", l'oncle malchanceux et rêveur doux-amer qui ne venait pas d'Amérique, mais du fin fond de la campagne russe, sans fortune mais plein de désillusions sur le genre humain...
























































Oncle Vania, ou plutôt "Diadia" Vania pour les russophones, dont l’allitération très enfantine façon jolie petite nursery rhyme nous introduit d'emblée un personnage que l'on imagine resté bloqué à l'âge tendre, un adulte grandi trop vite dans un monde brutale, cruel et sans pitié pour les doux rêveurs. Mais notre cher Oncle n'est pas que cela, et surtout il n'est pas le seul protagoniste de cette étrange drame tragi-comique, même si est l'archétype de l'anti héros à lui tout seul, semblant porter sur ses frêles épaules tout les malheurs de l'existence et des gens qui l'entourent. Des gens qui l'entourent justement, parlons en, ces personnages typiquement "Tchekhovien" formant une sarabande à la fois dissonante et bigarrée, entre lyrisme exacerbé et émotions rentrées, colère flamboyante et éclats de rire intenses, profond désespoir et rage de vivre, hypocrisie mondaine et sincérité bouleversante. L'âme russe typique des gens de la fin du XIXème, qu'il soient "koulak" (paysan enrichi), médecin, intellectuel, valet de ferme, nourrice ou jeune femme, épouse ou non, mis en scène et évoluant dans une immense propriété de campagne, géré par notre anti héros du jour, Ivan Petrovitch Voïnitzki alias Vania et sa nièce Sonia, jeune femme douce et pragmatique vivant le drame de ne pas être aimée par celui qu'elle convoite depuis toujours, le sémillant docteur Astrov. Une drôle de cohabitation entre tout ces personnages dont l'existence un brin monotone se déroule sous nos yeux de spectateurs, existence des plus banals en apparence, une vie ordinaire comme il en existe tant dans la réalité et dans les œuvres fictionnelles. Sauf que quand Tchekhov s'empare de la vie de ses contemporains en les fictionnalisant dans des pièces de théâtre, nous n'assistons plus à un banal vaudeville à deux sous et sans aucune envergure, mais à une véritable tragédie, une comédie humaine qui nous dépeint tout ce qu'il y a de plus sombre, triste, tortueux, hypocrite, vil et désespérant chez les individus, entre rêves brisés, espoirs déçus, résignation, rivalité explosive, jalousie maladive et amours impossibles. Tout commence par les révélations fracassantes et désabusées du docteur Astrov, médecin de campagne et alcoolique notoire, sorte de double inversé de Tchekhov, et l'arrivée imminente du grand professeur Sérébriakov, un intellectuel vieillissant particulièrement égoïste et prétentieux, complètement insensible et aveugle face à la souffrance morale évidente de son entourage, qu'il s'agisse de sa propre fille Sonia la mal aimée, sa très jeune épouse la belle Héléna complètement délaissée et réduite au silence, et surtout Vania, devenu en quelque sorte son homme à tout faire, délaissant sa propre existence et ayant fait une croix sur ses aspirations personnelles et intellectuelles pour servir l'éminent professeur et gérer sa propriété campagnarde. Vania, devenu rêveur et paresseux, malheureux et désabusé, rongé par la colère et des envies de suicide, Vania amer et rancunier car vivant avec cette impression terrible d'avoir gâché sa vie pour un imposteur. 
 





















Vania le dépressif, Vania qui rêve de "se pendre avec plaisir", Vania le velléitaire jetant toute sa rancœur au visage de l'insensible et odieux Sérébriakov, Vania malade de ne plus vivre et qui ne trouvera même pas de "réconfort" ou de soins particuliers de la part du médecin Astrov, encore plus dépressif et désabusé que notre anti héros du jour. Une œuvre bien sombre et amère que cet "Oncle Vania", très "fin de siècle" puisque parue en 1897 et jouée pour la première fois lors de sa création officielle en 1899, une œuvre qui à première vue ne donne pas envie d'être (re) découverte surtout par les temps qui courent empreints de morosité et de désespoir. Sauf que le talent de notre dramaturge médecin ou médecin dramaturge c'est selon, ne se limite pas à la tragédie noire et à la peinture du désespoir humain, non car il y a aussi beaucoup d'humour, d'esprit et une certaine forme de légèreté, certes un brin grinçants, mais bien présents dans les pièces et les nouvelles de Tchekhov. On rit jaune certes, mais on rit vraiment de toute cette absurdité, cette cocasserie qui émanent de certaines scènes et de certains personnages comme Téléguine, propriétaire terrien ruiné et "idiot du village" notoire dont le seul talent est apparemment de jouer de la guitare pour distraire ses pairs. Selon moi, il s'agit de l'une des meilleurs pièces de Tchekhov, peut être même l'une de ses plus personnelles, à la fois déchirante et drôle, émouvante et cocasse, inspirée d'une pièce antérieure écrite en 1889, sorte de "préquelle" et connue sous le titre "Le Sauvage", qui selon les traductions et les variantes deviendra "l'Esprit des Bois", œuvre intrigante qui sera l'objet d'une future chronique et donc le fameux deuxième chapitre à suivre sur le drame de la non existence selon Anton Tchekhov.

****** "Oncle Vania, scènes de la vie à la campagne en 4 actes"  par Anton Tchekhov, traduction française par André Markowicz et Françoise Morvan, éditions Actes Sud, collection Babel ******

mercredi 22 septembre 2021

Barbara, ou le triomphe de l'Art éternel selon Tezuka

"I can't relax
Ol' mister scratch
Is on my back
Made a devil's pact
Trade an old black cat
For a witches brew
Seven deadly sins
And you"

Beat Happening, "Bewitched" 1988

 

Ensorcelée... le maitre mot pour cette nouvelle chronique ou il sera question pèle mêle d'Art, d'écriture, d'amours contrariées, de fureur et de mystère chers à René Char, et aussi de poésie, mais pas celle de l'ami René non, plutôt celle écrite par un certain Paul Verlaine, de symbolisme mystique et de mythes modernes, tout ceci dans un manga, formant une entité à la fois concordante et dissonante. Vaste programme et vaste sujet, me direz vous, avec cette introduction qui présage tant de choses, mais de bonnes choses, car ici à la Mauvaise Influence nous mettons un certain point d'honneur à ne pas parler que d'oeuvres qui en valent vraiment la peine, celles qui surnagent et se distinguent dans un immense océan culturelle sans cesse renouvelé, mais ceci je pense que vous l'avez déjà compris très chers lecteurs. Ce manga réunissant tant de thématiques mystérieuses et attrayantes fait parti de l'un de mes coups de cœur absolu, et en parler ici aujourd’hui avec vous est un immense plaisir, tant je suis fan de Osamu Tezuka et de ce merveilleux "Barbara"

 






  








Barbara... Jolie prénom dont la douce consonance évoque d'emblée une artiste et une personnalité créative, comme une certaine chanteuse Française sombre et torturée, mystérieuse jusqu'aux tréfonds de son âme et qui chantait avec talent tout le désespoir humain. Mais notre Barbara du jour, bien que partageant certains aspects avec notre grande artiste au lyrisme sombre, n'est point chanteuse, ni même musicienne, plasticienne, peintre ou poétesse inspirée. C'est plutôt elle qui de par son aura mystérieuse inspire les artistes, elle est ce que l'on appelle en jargon artistique une égérie, une muse, une créature aux mille visages apparaissant comme par enchantement et souvent de façon incongrue et surréaliste à des artistes en mal de création. C'est ce qui arrive un beau jour a un certain Yôsuke Mikura, écrivain de renom et auteur de best sellers et dont les admirateurs et admiratrices se comptent par millier. En panne passagère d'inspiration créatrice, il erre dans Tokyo et tombe sur une jeune femme en guenilles, titubante car visiblement ivre de mauvais vin mais qui lui déclame de façon complétement inattendue quelques vers du célèbre poème de Verlaine "Chanson d'Automne". Touché par la grâce et par on se sait quoi exactement, Yôsuke Mikura recueille la jeune hippie sans abri, celle ci se révélant être particulièrement délurée et sans gêne, se servant dans les affaires et le whisky du grand écrivain. Peu à peu une étrange relation va se nouer entre nos deux protagonistes, entre haine et passion, amour et répulsion, inspiration créatrice et drame de la feuille blanche, poussant notre écrivain jusque dans ses derniers retranchements, pour l'amour de l'Art et de celle qui se fait appeler Barbara, cette Barbara si envoutante, si étonnante et surtout si mystérieuse, mais qui est elle en réalité? Une femme aux multiples apparences et existences même, celle qui se fait tour à tour appeler Barbara ou Dolmen, celle qui apparait comme la plus belle des femmes, tendre et féminine mais qui peut se métamorphoser subitement en hippie alcoolique au langage fleuri vendant ses charmes pour survivre. Le mystère reste entier tout au long de cette histoire étrange, empreinte de folie et de mysticisme, ou l'amour absolu de l'Art semble être le fil rouge déroulé par un Osamu Tezuka particulièrement inspiré.







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Œuvre inclassable au symbolisme extrêmement riche, convoquant tour à tour l'Art sous toutes ses formes (théâtre d'Avant Garde, écriture, peinture, poésie), politique, philosophie, religions, occultisme, sorcières des temps modernes et mythes antiques dans le Japon des années 70, ce"Barbara" fait carrément figure d'ovni parmi les autres œuvres d'Osamu Tezuka, on est loin, très loin même d'un certain Astro Boy ou d'un Roi Léo, tant le registre est très adulte et parfois hermétique. Une œuvre d'Avant Garde au style graphique très abouti, limite cinématographique, transpirant l'intelligence et la classe, non dénué d'un certain humour et truffé de références culturelles de haute volée. Peut être pas la plus accessible des œuvres du grand Tezuka, mais certainement l'une des plus brillantes, avant-gardistes et originales qu'il ai écrite et dessinée, une œuvre assez visionnaire, une ode vibrante au pouvoir de la création et du triomphe de l'Art éternel, une œuvre que je qualifierai même personnellement de chef d’œuvre et que je vous conseille de découvrir sans hésiter, surtout si comme votre serviteur vous êtes férus d'Art et de littérature. 

***** "Barbara" par Osamu Tezuka, édition Delcourt/Tonkam, réédition en intégrale 90ème anniversaire comprenant des annotations et des clés de lecture! *****


dimanche 12 septembre 2021

La chronique zoologique de Seward: "And Tango makes three" amour, manchots et parentalité

"Don't give me what I want
Just give me what I'm needing
I will never know
But perhaps I'll have a feeling
Don't give me what I want
Just give me what I'm needing
I will never know
But perhaps I'll have a feeling"
 
Rufus Wainwright, "Unfollow the rules", 2020.
 
Petite chronique particulière aujourd'hui puisque j'ai décidé de confier pour une journée les commandes de mon blog à l'un de mes sidekicks préféré, le bien nommé (et lettré!) Seward le manchot qui va nous parler de l'un de ses albums favoris et tout en anglais "And Tango makes three", relatant la vie trépidante de...manchots! Présentation un peu brève et sommaire, il est vrai, et surtout qui semble de prime abord tellement éloigné du style et des préoccupations habituelles de "La Mauvaise Influence". De prime abord, en effet. Ne jamais se fier aux apparences, et ne pas catégoriser d'entrée de jeu une œuvre qui semble à première vue toute gentillette proprette mignonnette, un énième album jeunesse animalier bourré de bons sentiments mièvres et prenant les jeunes lecteurs et lectrices pour des êtres incapables de réflexions. De plus, me fiant totalement aux gouts surs de mon ami Seward, je ne pouvais que lui laisser cette tribune, afin qu'il exprime en toute liberté son ressenti et sa critique personnelle de l’œuvre. Et le mot liberté est loin d’être galvaudé et superflu quand on parle de Tango...
 



    
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
"And Tango makes three"... ( que l'on peut traduire en français par "Et avec Tango, nous voilà 3!") relate l'histoire vraie de 2 manchots mâles Roy et Silo, vivant une magnifique romance au sein du zoo de Central Park à New York, formant ainsi le couple le plus emblématique du dit lieu. Amoureux et totalement fusionnels, nos deux charmants comparses vivent une existence paisible et sans histoires, rythmée par les visites quotidiennes des visiteurs du zoo, ils sont heureux et amoureux parmi les autres manchots et pingouins. Seule une petite chose manque peut être a leur bonheur presque parfait, la joie d’être parents et de pouvoir élever un rejeton. ce bonheur fini par arriver miraculeusement un beau jour sous la forme d'un œuf pondu par une femelle manchot qui n'en n'a cure de devenir mère, rejetant ainsi le futur poussin à naitre. L’œuf est ainsi récupéré et totalement pris en charge et choyé par notre couple de manchots, heureux et surexcités à l'idée de devenir enfin parents, devenant ainsi de véritables icônes emblématiques du zoo de New York. L'éclosion de l’œuf jalousement couvé successivement par Roy et Silo arrive un beau matin, dévoilant un adorable bébé manchot baptisé Tango, tout heureux d’être enfin venu au monde et découvrir ses 2 adorables papas qui semblent êtres a l'apogée du bonheur. Formant à présent une magnifique famille aimante, nos 3 manchots vont couler des jours heureux sous l’œil complice et attendri des soigneurs du zoo et des visiteurs du parc.


















"C'est une belle romance, c'est une belle histoire, comme il en existe tant d'autres en ce monde..." cela pourrait résumer l'essence même de cet album jeunesse, écrit par Justin Richardson et Peter Parnell et superbement illustré par Henri Cole, artiste multiprimé et incontournable de la littérature jeunesse américaine contemporaine. Sauf que sous airs mignons et attendrissants, Tango évoque une réalité qui déplait tant aux conservateurs et autres pourfendeurs de la liberté individuelle et du droit à la différence, homophobes décomplexés et chantres de l'essentialisme réactionnaire qui ne reconnait qu'une seule et unique forme d'amour et de couple, rejetant ainsi toutes celles et ceux qui ne se réclament pas de l'hétérosexualité. Une réalité et une diversité qui dérange tellement au point que ce très joli livre tout en douceur, humour et poésie a été mis à l'index et banni de certaines bibliothèques et librairies américaines, sous prétexte de "pervertir" et perturber les enfants avec des idées dangereuses! Et en quoi montrer un couple qui s'aime et élève un enfant qui a été fortement désiré et attendu est il dangereux et perturbant? L'amour est un cadeau précieux, sincère et pur, l'amour, le vrai sous toutes ses formes, l'amour n'a ni sexe et ni genre, l'amour est libre et tout le monde devrait avoir le droit, si il en a envie, de pouvoir accéder à la parentalité, quelque que soit son sexe ou son genre. Et ce très bel album aux couleurs claires et nuances pastel remet quelques pendules à l'heure avec une simplicité touchante ponctué d'éclats d'humour et de poésie.

***** "And Tango makes three" par Justin Richardson et Peter Parnell, illustrations par Henri Cole, édition américaine Simon & Schuster *****

A noter qu'il existe pour les non anglophones, une édition française du livre, sous le titre "Et avec Tango, nous voila trois" traduite par Laurana Serres-Giardi aux éditions Rue du Monde. Ainsi qu'une autre version un peu différente écrite et illustrée par Béatrice Boutignon "Tango à deux papas, et pourquoi pas?" parue en 2010 aux éditions du Baron Perché
 


mercredi 8 septembre 2021

Bobby Beausoleil ou l'ascension de l'ange déchu, entre ombre et lumière

"The killer mob
A red bone woman
A double cross
Big fake bitter love underbelly freezing jungle
One step more he'll stir your senses scratch your surface and nail your head
Murdered angels"

 Sonic Youth, "I'm Insane", 1985

 

Écrire une chronique sur Bobby Beausoleil  un jour de plein soleil... surtout quand il est question d'un meurtrier, évoquant ainsi l'une des énigmes les plus palpitantes et mystérieuses qu'est eu a résoudre Hercule Poirot par le truchement d'Agatha Christie. Sauf que là il ne sera nullement question de parler de la grande et prolifique romancière anglaise que l'on ne présente plus et encore moins d'une fiction policière aux mille rebondissements alambiqués, puisque l'ouvrage dont il est question aujourd'hui ne se glisse pas vraiment dans la catégorie des fictions, et que le héros de cette étrange storytelling n'a pas été crée de tout pièces, il est réel et bien vivant! Et son joli patronyme évoquant la promesse chatoyante d'une grande beauté solaire et radieuse n'est absolument pas pure invention poétique, bien que Bobby Beausoleil est une sorte de poème à lui tout seul, une ode macabre ou une oraison funèbre, au vu de sa vie chaotique et de ses penchants destructeurs. Un homme s'est particulièrement intéressé à ce fascinant personnage, livrant ainsi son existence tourmentée et meurtrière et tentant même de percer à jour son énigme à travers une étrange épopée littéraire que nous allons découvrir aujourd'hui.














 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bobby Beausoleil aurait pu naitre sous une bonne étoile, mais lorsqu'il vit le jour en 1947 son destin, et même si il ne le savait pas encore, était déjà scellé, voué au mal et à la destruction, un ange noir pourvu d'une âme sombre, né dans une région riante et ensoleillée des États Unis, la belle et enjouée Californie. Bobby Beausoleil, de part son nom magnifique et ses grandes aptitudes artistiques, musicien accompli et compositeur émérite, aurait pu régner en maitre tel un grand monarque inspirant et solaire sur tout cet univers artistique Californien des sixties alors en pleine éclosion créative et contestataire, à l'Avant Garde musicale, littéraire et plastique, libérée du joug infernal du conservatisme des décennies passées. Sauf que la destinée en avait décidé autrement, muant notre jeune musicien à la carrière prometteuse en un assassin à la carrière brisée, l'histoire presque banale d'un jeune guitariste rebelle et en rupture total avec son milieu familial qui rencontra un beau jour le roi des démons, enjôleur, pervers et manipulateur, patriarche improbable d'une étrange et nébuleuse famille, celui que l'histoire retiendra comme le commanditaire ultime du massacre de la Death Valley en 1969, l'apocalyptique Charles Manson. Mais avant cela, Bobby œuvrait donc en tant que guitariste pour divers groupes de rock en vogue, notamment la fameuse formation d'Arthur Lee,"Love", et en bon hippie anti establishment, voyageait et roulait sa bosse nonchalamment un peu partout, ce qui déboucha notamment sur une rencontre capitale avec le pape du cinéma underground, Kenneth Anger. Peu à peu, l'ange de la musique se métamorphosa en un ange meurtrier, suivant une partition dramatique aux notes violentes et ensanglantées, il commis l'irréparable en poignardant un homme, sombre histoire de revanche sur fond de drogues et d'escroquerie. Ce geste tragique et d'une violence inouïe le conduira tout droit en prison pour le reste de sa vie, sans aucune possibilité de sortie ou de rédemption, un geste qu'il ne semble même pas vraiment regretter, tant son sourire énigmatique et son air de défi un brin provocateur sur son beau visage d'ange sont d'une éloquence évidente et glaçante. Et pourtant, derrière toute cette horreur au gout de sang et de vice, toute cette foire aux atrocités chère à JG Ballard, nous découvrons la vie d'un homme proprement fascinant, vivant sa vie dans un road movie chaotique, une sorte de Neal Cassady encore plus extrême et psychotique, moins connu que Charles Manson et ses frasques, mais tout aussi dangereux et envoutant.

 













Fasciné (mais comme je le suis tout autant!) par l'aura et la personnalité si complexe de Bobby Beausoleil, Fabrice Gaignault nous livre ici une incroyable épopée semi fictionnelle, hantée par les fantômes des sixties, son way of life et ses personnalités, une épopée née sur la route entre L.A et San Francisco, tel un Kerouac des temps modernes. Une fascination évidente pour le personnage certes, mais sans tomber dans l'hagiographie dégoulinante ou le pamphlet ridicule, ce livre n'est en aucun cas une apologie complaisante du crime de Bobby Beausoleil, il relate simplement des faits et un bout d'histoire de l’Amérique contemporaine des 60' et des 70' à travers un style de vie fait de vagabondages, de rencontres, de pop culture et de musique. Et en parlant musique, Kenneth Anger ne s'était décidément pas trompé en confiant à Bobby Beausoleil la réalisation de la bande originale de son mythique et fabuleux "Lucifer Rising", voyant certainement en lui la réincarnation moderne de Lucifer, l'ange déchu porteur de lumière. Une belle découverte et un sujet original, traité de façon tout aussi original, et qui nous change un peu des sempiternelles biographies de Charles Manson qui ne cessent de fleurir et autres ouvrages convenus sur les sixties américaines.


***** "Bobby Beausoleil et autres anges cruels" par Fabrice Gaignault, édition Séguier *****