dimanche 28 novembre 2021
Industrial Music, l’obscénité et la fureur selon Genesis P-Orridge
dimanche 7 novembre 2021
The Bell Jar, ou le chant du cygne désespéré de Sylvia Plath
That's the crown that you get when you fall down
Hey baby, won't you wave goodbye
As you go off to fuck your weird red light?
Rotten sun spits on your raw hide
As you dance to the sound of a suicide
Oh yeah, you laugh as you try to to hide
That you're the rat poison daughter of a suicide...
Esther Greenwood est une jeune femme idéaliste de 19 ans, fraichement débarquée de sa province natale et arrivant le temps d'un été à New York, heureuse lauréate d'un concours d'écriture qui lui fait entrapercevoir, ou plutôt espérer la possibilité d'une grande carrière littéraire et/ou d'un brillant avenir dans la haute société culturelle de Big Apple ou tout n'est qu'apparence, opulence, beaux colifichets, glamour et fêtes sans fin. Une vie de rêve en apparence pour cette jeune femme sensible et possédant déjà un fort talent littéraire et une vision assez réaliste et acerbe de la vie et des rapports humains, surtout vis à vis de la gente masculine. A la fois séduite et désabusée par tout ce qui l'entoure, Esther va de soirées mondaines en réceptions somptueuses, grisée par l'agitation et la futilité ambiante et entourée par d'autres jeunes femmes elles aussi gagnantes du dit concours littéraire. Une vie de rêve temporaire qui va s'achever tristement et même dramatiquement pour notre chère Esther/Sylvia, puisque celle ci va sombrer dans une profonde dépression qui va l'emporter violemment telle une lame de fond implacable lorsqu'elle quittera New York. Traitements de choc, médecins incrédules et froids, désespoir abyssal et tentatives de suicide multiples, voila ce que sera son nouveau quotidien, bien loin des ors de New York et de son glamour exacerbé, une vie bien difficile pour une toute jeune femme idéaliste et paumée dans un monde cruel et patriarcal, surtout celui des années 50, une existence chaotique marquée du sceau de la maladie mentale et de la marginalité, sans amour et sans légèreté, ou l'espoir, modeste peine à montrer sa présence tout au long du récit fait par Esther, à la fois actrice, narratrice et spectatrice de sa propre déchéance. Une vision effroyablement réaliste et d'une précision presque chirurgicale de ce que sont la maladie mentale, la tristesse, le suicide et la dépression, la cruauté des rapports humains, la déshumanisation en général et la vie dans un asile particulièrement sordide ou l'on "soigne" les malades récalcitrants à coups d’électrochocs et autres chimies castratrices d'émotions. Surtout quand on a entraperçu l'espoir d'une vie meilleure et d'un avenir radieux et léger dans une ville aussi étincelante que New York City, que l'on a cru en l'amour et à toutes ces choses qui rendent la vie si belle et attrayante, que l'on pensait devenir un écrivain célèbre et reconnue par ses pairs, tout cela rappelle et d'une manière brute et implacable que le bonheur n'existe pas vraiment ou alors n'est pas fait pour perdurer, que tout est illusoire, futile, vain et que tout peut basculer du jour au lendemain dans l'horreur absolue.
Unique et ultime roman écrit par Sylvia Plath en 1963, soit quelques mois avant sa mort tragique, "The Bell Jar" est quelque sorte le chant du cygne désespéré de l'auteur, une autobiographie à peine voilée et annonciatrice de sa funeste fin, Esther Greenwood étant le double fictionnel de Sylvia Plath, sans cesse traversée par des émotions communes, une projection non idéalisée d'elle même, âme à jamais blessée, maladie de l'esprit qui ne guérira pas, deux sœurs jumelles à tout jamais unies par le même malheur de vivre, ou plutôt de non vivre, perdues dans un monde à la fois dur et superficiel. Plus coutumière à nous livrer de la poésie délicate et habitée (comme par exemple le sublime "Arbres d'Hiver" à lire absolument!) des nouvelles percutantes ou des écrits plus personnels comme son journal intime, Sylvia Plath frappe fort, et même très fort avec ce roman dont les qualificatifs me manquent, tellement il est incroyable, puissant, bouleversant, radical, implacable et superbement bien écrit! Un unique roman que je qualifierai presque de testament, ou l'on assiste impuissant à la déchéance morale de la poétesse, pardon de la jeune femme aspirante écrivain, nous devenons les témoins de sa descente aux enfers que rien ne semblait vraiment annoncer au début du roman, ou tout n'étaient que party sélects et frivolité New Yorkaise tendance stilettos et beaux atours siglés, aux antipodes total d'un sordide hôpital psychiatrique de province avec ses traitements de choc et sa folie ordinaire. Un roman fort qui nous livre aussi un témoignage très réaliste et glaçant sur la place des femmes dans la société, leur supposé rôle, stéréotypes de genre particulièrement exacerbés dans les années 50, bien avant les mouvements féministes des années 60 qui ont peu à peu changé tout cela en se battant pour le droit des femmes, considérées alors comme des hystériques et des citoyennes de seconde zone. Et pour finir, un roman essentiel de la littérature américaine contemporaine que je qualifierais de chef d’œuvre, à posséder et à découvrir absolument, on est littéralement happé malgré la dureté du sujet, et surtout vraiment touché, que l'on soit femme ou homme, par la détresse de l'auteur et de son double fictionnel.
******* "La Cloche de Détresse" (titre original "The Bell Jar") par Sylvia Plath, édition française Gallimard, collection l'Imaginaire *********
A noter qu'il existe deux adaptations cinématographiques du roman, l'une étant sortie en 1979 et l'autre plus récente en 2017 réalisée par Kirsten Dunst, mais qui à mon avis ne retransmettent pas toute la puissance du roman et la complexité du personnage d'Esther Greenwood, bien que correctement réalisés, tout ceci reste bien en deçà de la pensée "Plathienne" !
jeudi 7 octobre 2021
Obsession Blanche, ou l'Alph-Art littéraire de Valérie Valère, White Drama et Série Noire
White light, Aww white light its gonna drive me insane
White heat, Aww white heat it tickle me down to my toes
White light, Aww white light I said now goodness knows, do it
dimanche 26 septembre 2021
Oncle Vania, ou le drame de la non existence selon Anton Tchekhov chapitre 1
And so am I
You'd better give me
Something so I don't die
mercredi 22 septembre 2021
Barbara, ou le triomphe de l'Art éternel selon Tezuka
"I can't relax
Ol' mister scratch
Is on my back
Made a devil's pact
Trade an old black cat
For a witches brew
Seven deadly sins
And you"
Beat Happening, "Bewitched" 1988
Ensorcelée... le maitre mot pour cette nouvelle chronique ou il sera question pèle mêle d'Art, d'écriture, d'amours contrariées, de fureur et de mystère chers à René Char, et aussi de poésie, mais pas celle de l'ami René non, plutôt celle écrite par un certain Paul Verlaine, de symbolisme mystique et de mythes modernes, tout ceci dans un manga, formant une entité à la fois concordante et dissonante. Vaste programme et vaste sujet, me direz vous, avec cette introduction qui présage tant de choses, mais de bonnes choses, car ici à la Mauvaise Influence nous mettons un certain point d'honneur à ne pas parler que d'oeuvres qui en valent vraiment la peine, celles qui surnagent et se distinguent dans un immense océan culturelle sans cesse renouvelé, mais ceci je pense que vous l'avez déjà compris très chers lecteurs. Ce manga réunissant tant de thématiques mystérieuses et attrayantes fait parti de l'un de mes coups de cœur absolu, et en parler ici aujourd’hui avec vous est un immense plaisir, tant je suis fan de Osamu Tezuka et de ce merveilleux "Barbara"
Barbara... Jolie prénom dont la douce consonance évoque d'emblée une artiste et une personnalité créative, comme une certaine chanteuse Française sombre et torturée, mystérieuse jusqu'aux tréfonds de son âme et qui chantait avec talent tout le désespoir humain. Mais notre Barbara du jour, bien que partageant certains aspects avec notre grande artiste au lyrisme sombre, n'est point chanteuse, ni même musicienne, plasticienne, peintre ou poétesse inspirée. C'est plutôt elle qui de par son aura mystérieuse inspire les artistes, elle est ce que l'on appelle en jargon artistique une égérie, une muse, une créature aux mille visages apparaissant comme par enchantement et souvent de façon incongrue et surréaliste à des artistes en mal de création. C'est ce qui arrive un beau jour a un certain Yôsuke Mikura, écrivain de renom et auteur de best sellers et dont les admirateurs et admiratrices se comptent par millier. En panne passagère d'inspiration créatrice, il erre dans Tokyo et tombe sur une jeune femme en guenilles, titubante car visiblement ivre de mauvais vin mais qui lui déclame de façon complétement inattendue quelques vers du célèbre poème de Verlaine "Chanson d'Automne". Touché par la grâce et par on se sait quoi exactement, Yôsuke Mikura recueille la jeune hippie sans abri, celle ci se révélant être particulièrement délurée et sans gêne, se servant dans les affaires et le whisky du grand écrivain. Peu à peu une étrange relation va se nouer entre nos deux protagonistes, entre haine et passion, amour et répulsion, inspiration créatrice et drame de la feuille blanche, poussant notre écrivain jusque dans ses derniers retranchements, pour l'amour de l'Art et de celle qui se fait appeler Barbara, cette Barbara si envoutante, si étonnante et surtout si mystérieuse, mais qui est elle en réalité? Une femme aux multiples apparences et existences même, celle qui se fait tour à tour appeler Barbara ou Dolmen, celle qui apparait comme la plus belle des femmes, tendre et féminine mais qui peut se métamorphoser subitement en hippie alcoolique au langage fleuri vendant ses charmes pour survivre. Le mystère reste entier tout au long de cette histoire étrange, empreinte de folie et de mysticisme, ou l'amour absolu de l'Art semble être le fil rouge déroulé par un Osamu Tezuka particulièrement inspiré.
,
Œuvre inclassable au symbolisme extrêmement riche, convoquant tour à tour l'Art sous toutes ses formes (théâtre d'Avant Garde, écriture, peinture, poésie), politique, philosophie, religions, occultisme, sorcières des temps modernes et mythes antiques dans le Japon des années 70, ce"Barbara" fait carrément figure d'ovni parmi les autres œuvres d'Osamu Tezuka, on est loin, très loin même d'un certain Astro Boy ou d'un Roi Léo, tant le registre est très adulte et parfois hermétique. Une œuvre d'Avant Garde au style graphique très abouti, limite cinématographique, transpirant l'intelligence et la classe, non dénué d'un certain humour et truffé de références culturelles de haute volée. Peut être pas la plus accessible des œuvres du grand Tezuka, mais certainement l'une des plus brillantes, avant-gardistes et originales qu'il ai écrite et dessinée, une œuvre assez visionnaire, une ode vibrante au pouvoir de la création et du triomphe de l'Art éternel, une œuvre que je qualifierai même personnellement de chef d’œuvre et que je vous conseille de découvrir sans hésiter, surtout si comme votre serviteur vous êtes férus d'Art et de littérature.
***** "Barbara" par Osamu Tezuka, édition Delcourt/Tonkam, réédition en intégrale 90ème anniversaire comprenant des annotations et des clés de lecture! *****
dimanche 12 septembre 2021
La chronique zoologique de Seward: "And Tango makes three" amour, manchots et parentalité
Just give me what I'm needing
I will never know
But perhaps I'll have a feeling
Don't give me what I want
Just give me what I'm needing
I will never know
But perhaps I'll have a feeling"
mercredi 8 septembre 2021
Bobby Beausoleil ou l'ascension de l'ange déchu, entre ombre et lumière
"The killer mob
A red bone woman
A double cross
Big fake bitter love underbelly freezing jungle
One step more he'll stir your senses scratch your surface and nail your head
Murdered angels"
Sonic Youth, "I'm Insane", 1985
Écrire une chronique sur Bobby Beausoleil un jour de plein soleil... surtout quand il est question d'un meurtrier, évoquant ainsi l'une des énigmes les plus palpitantes et mystérieuses qu'est eu a résoudre Hercule Poirot par le truchement d'Agatha Christie. Sauf que là il ne sera nullement question de parler de la grande et prolifique romancière anglaise que l'on ne présente plus et encore moins d'une fiction policière aux mille rebondissements alambiqués, puisque l'ouvrage dont il est question aujourd'hui ne se glisse pas vraiment dans la catégorie des fictions, et que le héros de cette étrange storytelling n'a pas été crée de tout pièces, il est réel et bien vivant! Et son joli patronyme évoquant la promesse chatoyante d'une grande beauté solaire et radieuse n'est absolument pas pure invention poétique, bien que Bobby Beausoleil est une sorte de poème à lui tout seul, une ode macabre ou une oraison funèbre, au vu de sa vie chaotique et de ses penchants destructeurs. Un homme s'est particulièrement intéressé à ce fascinant personnage, livrant ainsi son existence tourmentée et meurtrière et tentant même de percer à jour son énigme à travers une étrange épopée littéraire que nous allons découvrir aujourd'hui.
Bobby Beausoleil aurait pu naitre sous une bonne étoile, mais lorsqu'il vit le jour en 1947 son destin, et même si il ne le savait pas encore, était déjà scellé, voué au mal et à la destruction, un ange noir pourvu d'une âme sombre, né dans une région riante et ensoleillée des États Unis, la belle et enjouée Californie. Bobby Beausoleil, de part son nom magnifique et ses grandes aptitudes artistiques, musicien accompli et compositeur émérite, aurait pu régner en maitre tel un grand monarque inspirant et solaire sur tout cet univers artistique Californien des sixties alors en pleine éclosion créative et contestataire, à l'Avant Garde musicale, littéraire et plastique, libérée du joug infernal du conservatisme des décennies passées. Sauf que la destinée en avait décidé autrement, muant notre jeune musicien à la carrière prometteuse en un assassin à la carrière brisée, l'histoire presque banale d'un jeune guitariste rebelle et en rupture total avec son milieu familial qui rencontra un beau jour le roi des démons, enjôleur, pervers et manipulateur, patriarche improbable d'une étrange et nébuleuse famille, celui que l'histoire retiendra comme le commanditaire ultime du massacre de la Death Valley en 1969, l'apocalyptique Charles Manson. Mais avant cela, Bobby œuvrait donc en tant que guitariste pour divers groupes de rock en vogue, notamment la fameuse formation d'Arthur Lee,"Love", et en bon hippie anti establishment, voyageait et roulait sa bosse nonchalamment un peu partout, ce qui déboucha notamment sur une rencontre capitale avec le pape du cinéma underground, Kenneth Anger. Peu à peu, l'ange de la musique se métamorphosa en un ange meurtrier, suivant une partition dramatique aux notes violentes et ensanglantées, il commis l'irréparable en poignardant un homme, sombre histoire de revanche sur fond de drogues et d'escroquerie. Ce geste tragique et d'une violence inouïe le conduira tout droit en prison pour le reste de sa vie, sans aucune possibilité de sortie ou de rédemption, un geste qu'il ne semble même pas vraiment regretter, tant son sourire énigmatique et son air de défi un brin provocateur sur son beau visage d'ange sont d'une éloquence évidente et glaçante. Et pourtant, derrière toute cette horreur au gout de sang et de vice, toute cette foire aux atrocités chère à JG Ballard, nous découvrons la vie d'un homme proprement fascinant, vivant sa vie dans un road movie chaotique, une sorte de Neal Cassady encore plus extrême et psychotique, moins connu que Charles Manson et ses frasques, mais tout aussi dangereux et envoutant.
Fasciné (mais comme je le suis tout autant!) par l'aura et la personnalité si complexe de Bobby Beausoleil, Fabrice Gaignault nous livre ici une incroyable épopée semi fictionnelle, hantée par les fantômes des sixties, son way of life et ses personnalités, une épopée née sur la route entre L.A et San Francisco, tel un Kerouac des temps modernes. Une fascination évidente pour le personnage certes, mais sans tomber dans l'hagiographie dégoulinante ou le pamphlet ridicule, ce livre n'est en aucun cas une apologie complaisante du crime de Bobby Beausoleil, il relate simplement des faits et un bout d'histoire de l’Amérique contemporaine des 60' et des 70' à travers un style de vie fait de vagabondages, de rencontres, de pop culture et de musique. Et en parlant musique, Kenneth Anger ne s'était décidément pas trompé en confiant à Bobby Beausoleil la réalisation de la bande originale de son mythique et fabuleux "Lucifer Rising", voyant certainement en lui la réincarnation moderne de Lucifer, l'ange déchu porteur de lumière. Une belle découverte et un sujet original, traité de façon tout aussi original, et qui nous change un peu des sempiternelles biographies de Charles Manson qui ne cessent de fleurir et autres ouvrages convenus sur les sixties américaines.
***** "Bobby Beausoleil et autres anges cruels" par Fabrice Gaignault, édition Séguier *****