vendredi 29 juillet 2016

Sunny, ou le soleil noir de la mélancolie urbaine selon Matsumoto

" In my eyes, indisposed
In disguises no one knows
Hides the face, lies the snake
And the sun in my disgrace
Boiling heat, summer stench..."


Black Hole Sun, Soundgarden, 1994

Un manga au titre ensoleillé en ce mois de juillet finissant, je me suis dit que cela pourrait être de circonstance. Oui et non en fait, puisque comme le dit si bien le dicton "il ne faut jamais se fier aux apparences" et c'est bougrement vrai, puisque le dit manga dont je vais parler aujourd'hui n'est pas vraiment un de ces "livres de l'été", vous savez ces ouvrages format poche vendus en pagaille dans les supermarchés sur les têtes de gondole, entre la crème solaire et le kit spécial barbecue, et fleurant bon la plage, la mer, le soleil et le fun total. Oublions toutes ces images d’Épinal et de saison, puisque ce "Sunny" la n'est pas vraiment synonyme de "Let's the sunshine in" de part son sujet et son background, œuvre d'un auteur culte, influent mais méconnu, j'ai nommé Taiyô Matsumoto. Petit tour d'horizon dans un univers urbain à la fois poétique et désenchanté, au doux parfum de béton amer.


































Taiyô Matsumoto est un prodigieux conteur des temps modernes qui sait mieux que quiconque parler des affres de la vie urbaine et de ses jeunes acteurs qui y vivent, souvent marginaux, délaissés par les adultes et livrés à eux mêmes, tels Blanco et Noiro les deux héros très attachants de son (chef) œuvre majeur "Amer Béton". "Sunny" reprends un peu ces thèmes la, urbanisme et jeunes marginaux, en racontant l'histoire poignante d'enfants délaissés par leur parents et forcés de vivre loin d'eux dans un centre d'accueil. Existence un peu monotone au début pour ces jeunes livrés à aux mêmes jusqu’à la découverte d'une vieille épave automobile abandonnée au fond du jardin, une Nissan Sunny. Sorte de subtile métaphore sur 4 roues des enfants du centre puisque abandonnée tout comme eux, "Sunny" va illuminer la vie de chacun, cristallisant ainsi l'envie de s'échapper du quotidien en faisant appel à l'imagination de chacun. De petites tribulations tragi-comiques on l'on est témoin à chaque instant des états d'âme de ces jeunes enfants à qui la vie n'a pas vraiment fait de cadeaux, des enfants dotés de fortes personnalités qui leur permettent de survivre dans la jungle urbaine intense et rude, mais qui au fond d'eux souffrent de réelle solitude et de manque d'affection, on est tellement touchés par leur fragilité décrite de façon simple et pudique que l'envie de verser quelques larmes n'est jamais bien loin. Sunny est loin de ressembler à la De Lorean machine à voyager dans le temps construite par Doc Emmett Brown dans "Retour vers le Futur", mais a sa manière elle va permettre aux enfants de voyager d'une certaine façon.


























Chantre de la poésie urbaine brute et décalée, Taiyô Matsumoto nous livre ici une fois de plus un manga d'une qualité extraordinaire, tant par son scénario attachant et complexe que par son style graphique beau et originale, reconnaissable entre mille, ce qui est l'apanage des plus grands artistes. Un peu comme Kerouac avec ses clochards célestes et autres vagabonds mémorables, il a littéralement créée un type très particulier de personnage, à savoir celui du jeune enfant ou ado marginal doté d'une forte personnalité et vivant en dehors de la société des adultes, et qui se démarque totalement des sempiternels héros de shonen ultra calibrés et fabriqués à la chaine par des mangaka en manque cruel d'originalité. Le genre d'ouvrage qui malgré son vernis apparent de profond désenchantement et de rudesse assumée ne peut que nous bouleverser, mais aussi nous amuser et faire rêver puisque l'imagination tient une place très importante dans cette superbe série de 6 tomes, l'imagination qui permet de lutter contre la noirceur et la violence du quotidien, portant en elle quelques parcelles d'espoir. Taiyô Matsumoto est un très grand mangaka au style unique et original, un artiste d'exception qui créer avec son âme et ses tripes, et que l'on peut ranger illico parmi les plus grands artistes japonais comme l'écrivain Ryu Murakami avec qui il semble partager quelques points communs sur la jeunesse désenchantée et le chaos des villes.

** "Sunny" scénario et dessins de Taiyô Matsumoto, éditions Kana, collection Big Kana, série terminée en 6 tomes. Lecture conseillée à partir de 13 ans ** 


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