dimanche 26 septembre 2021

Oncle Vania, ou le drame de la non existence selon Anton Tchekhov chapitre 1

Life is hard
And so am I
You'd better give me
Something so I don't die

 Eels, "Novocaine for the soul", 1996.

Chronique un peu particulière aujourd'hui puisqu'il s'agira en fait d'une double chronique, d'un exercice de style en deux partis, réunissant deux œuvres qui à première vue pourraient n'avoir aucun liens, si ce n'est un auteur commun, le grand, l'immense, le cultissime Anton Pavlovitch Tchekhov, ou Tchekhov pour les intimes. Un diptyque "Tchekhovien" qui commence tout de suite par un premier chapitre que je souhaitait à contre courant puisque ne respectant pas du tout la chronologie classique et habituelle, cet "Oncle Vania" ( ou "Diadia Vania" en V.O) dont il sera question aujourd’hui est postérieure à l’œuvre qui vous sera très prochainement présenté dans une future chronique, soit le deuxième chapitre! En espérant que mes "explications" et mon parti pris soient compris par vous tous, très chers lectrices et lecteurs, j'avoue avoir été très inspirée et touchée ces derniers temps par la vision si particulière de l'existence et des rapports humains dépeints par Tchekhov, que ce soit à travers ses "histoires grinçantes", sa "Cerisaie", sa "Mouette" ou encore ses "3 sœurs". Mon choix s'est donc porté sur cet intriguant "Oncle Vania", l'oncle malchanceux et rêveur doux-amer qui ne venait pas d'Amérique, mais du fin fond de la campagne russe, sans fortune mais plein de désillusions sur le genre humain...
























































Oncle Vania, ou plutôt "Diadia" Vania pour les russophones, dont l’allitération très enfantine façon jolie petite nursery rhyme nous introduit d'emblée un personnage que l'on imagine resté bloqué à l'âge tendre, un adulte grandi trop vite dans un monde brutale, cruel et sans pitié pour les doux rêveurs. Mais notre cher Oncle n'est pas que cela, et surtout il n'est pas le seul protagoniste de cette étrange drame tragi-comique, même si est l'archétype de l'anti héros à lui tout seul, semblant porter sur ses frêles épaules tout les malheurs de l'existence et des gens qui l'entourent. Des gens qui l'entourent justement, parlons en, ces personnages typiquement "Tchekhovien" formant une sarabande à la fois dissonante et bigarrée, entre lyrisme exacerbé et émotions rentrées, colère flamboyante et éclats de rire intenses, profond désespoir et rage de vivre, hypocrisie mondaine et sincérité bouleversante. L'âme russe typique des gens de la fin du XIXème, qu'il soient "koulak" (paysan enrichi), médecin, intellectuel, valet de ferme, nourrice ou jeune femme, épouse ou non, mis en scène et évoluant dans une immense propriété de campagne, géré par notre anti héros du jour, Ivan Petrovitch Voïnitzki alias Vania et sa nièce Sonia, jeune femme douce et pragmatique vivant le drame de ne pas être aimée par celui qu'elle convoite depuis toujours, le sémillant docteur Astrov. Une drôle de cohabitation entre tout ces personnages dont l'existence un brin monotone se déroule sous nos yeux de spectateurs, existence des plus banals en apparence, une vie ordinaire comme il en existe tant dans la réalité et dans les œuvres fictionnelles. Sauf que quand Tchekhov s'empare de la vie de ses contemporains en les fictionnalisant dans des pièces de théâtre, nous n'assistons plus à un banal vaudeville à deux sous et sans aucune envergure, mais à une véritable tragédie, une comédie humaine qui nous dépeint tout ce qu'il y a de plus sombre, triste, tortueux, hypocrite, vil et désespérant chez les individus, entre rêves brisés, espoirs déçus, résignation, rivalité explosive, jalousie maladive et amours impossibles. Tout commence par les révélations fracassantes et désabusées du docteur Astrov, médecin de campagne et alcoolique notoire, sorte de double inversé de Tchekhov, et l'arrivée imminente du grand professeur Sérébriakov, un intellectuel vieillissant particulièrement égoïste et prétentieux, complètement insensible et aveugle face à la souffrance morale évidente de son entourage, qu'il s'agisse de sa propre fille Sonia la mal aimée, sa très jeune épouse la belle Héléna complètement délaissée et réduite au silence, et surtout Vania, devenu en quelque sorte son homme à tout faire, délaissant sa propre existence et ayant fait une croix sur ses aspirations personnelles et intellectuelles pour servir l'éminent professeur et gérer sa propriété campagnarde. Vania, devenu rêveur et paresseux, malheureux et désabusé, rongé par la colère et des envies de suicide, Vania amer et rancunier car vivant avec cette impression terrible d'avoir gâché sa vie pour un imposteur. 
 





















Vania le dépressif, Vania qui rêve de "se pendre avec plaisir", Vania le velléitaire jetant toute sa rancœur au visage de l'insensible et odieux Sérébriakov, Vania malade de ne plus vivre et qui ne trouvera même pas de "réconfort" ou de soins particuliers de la part du médecin Astrov, encore plus dépressif et désabusé que notre anti héros du jour. Une œuvre bien sombre et amère que cet "Oncle Vania", très "fin de siècle" puisque parue en 1897 et jouée pour la première fois lors de sa création officielle en 1899, une œuvre qui à première vue ne donne pas envie d'être (re) découverte surtout par les temps qui courent empreints de morosité et de désespoir. Sauf que le talent de notre dramaturge médecin ou médecin dramaturge c'est selon, ne se limite pas à la tragédie noire et à la peinture du désespoir humain, non car il y a aussi beaucoup d'humour, d'esprit et une certaine forme de légèreté, certes un brin grinçants, mais bien présents dans les pièces et les nouvelles de Tchekhov. On rit jaune certes, mais on rit vraiment de toute cette absurdité, cette cocasserie qui émanent de certaines scènes et de certains personnages comme Téléguine, propriétaire terrien ruiné et "idiot du village" notoire dont le seul talent est apparemment de jouer de la guitare pour distraire ses pairs. Selon moi, il s'agit de l'une des meilleurs pièces de Tchekhov, peut être même l'une de ses plus personnelles, à la fois déchirante et drôle, émouvante et cocasse, inspirée d'une pièce antérieure écrite en 1889, sorte de "préquelle" et connue sous le titre "Le Sauvage", qui selon les traductions et les variantes deviendra "l'Esprit des Bois", œuvre intrigante qui sera l'objet d'une future chronique et donc le fameux deuxième chapitre à suivre sur le drame de la non existence selon Anton Tchekhov.

****** "Oncle Vania, scènes de la vie à la campagne en 4 actes"  par Anton Tchekhov, traduction française par André Markowicz et Françoise Morvan, éditions Actes Sud, collection Babel ******

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