mercredi 22 juin 2016

Psychonautes, all the kids wanna sniff some glue...!

"In a churchyard by a river
Lazing in the haze of midday
Laughing in the grasses
And the graves
Yellow bird, you are not long
In singing and in flying on
In laughing and in leaving..."

Cirrus Minor, Pink Floyd, 1969

Un bel OVNI (Ouvrage Volubile Non Identifié) qui fait aujourd'hui son entrée en fanfare, enfin plutôt sur fond de "More", bande originale composée par les Pink Floyd en 1969 pour le film culte éponyme de Barbet Schroeder, so trippy et un brin dark narrant la fin du rêve hippie et l'addiction absolue aux paradis artificiels du genre durs et poudrés. Drôle d'introduction en vérité pour parler d'un roman graphique et non pas d'un groupe mythique des 60' et 70', mais je dois bien avouer que l'écoute du (très) bouleversant "Cirrus Minor" m'a un peu (beaucoup) inspiré pour cette chronique au ton doux amer et résolument psychédélique, tout comme les paroles de cette chanson en apparence gaie, lumineuse et bucolique mais qui reflète en réalité un certain mal de vivre, une mélancolie palpable et une envie de s'évader, un voyage lointain dans un monde fantastique et coloré,"anywhere out of the world" comme l'a si joliment écrit Charles Baudelaire alias monsieur Spleen. Le bien nommé "Psychonautes" est un peu la synthèse graphique de tout cet esprit la, oscillant entre douceur et désespoir, joliesse et noirceur, mignonnerie et "trash attitude", un vrai paradoxe que je vais m'empresser de (psych)analyser pour vous chers lecteurs. Bienvenus au royaume des "navigateurs de l'âme" et allons voguer avec eux.


































Bienvenus dans un monde à la fois mignon et totalement désenchanté, une île étrange peuplés de petits personnages présentant l'aspect de gentilles peluches rassurantes, mais l'habit ne faisant pas le moine comme chacun le sait, les dites "gentilles peluches" s'avèrent être des créatures sombres et torturés, totalement connectées sur le mode borderline et dépressif, accros aux idées noires et aux substances psychotropes, façon Hunter S Thompson perdu dans Las Vegas Parano qui serait tout d'un coup peuplé de petites souris, oiseaux, chiens, ours et éléphants. Au milieu de cette cour des miracles tendance "Factory" improbable, survit un étrange loustic, le bien nommé Birdboy, petit oisillon de son état, et qui désespère d'arriver un jour à voler, multipliant les tentatives sans résultat, ce qui l'enfonce chaque jour un peu plus dans la dépression et la consommation massive de psychotropes. Son amie Dinky, jeune souris frêle et désespérée, semble être aussi au bout du rouleau, elle ne supporte plus sa vie morose et sans grand intérêt, et dévastée par la mort de son père, elle refuse de se lever le matin pour aller à l'école et ne rêve que d'ailleurs, fuir vite et loin, "anywhere out of the world" sonnant comme un leitmotiv évident dans son esprit tourmenté. Nos deux héros, totalement lucides et conscient du désastre de leurs vies respectives projettent donc de partir, avec l'espoir vain d'atteindre un monde meilleur, ou l'échec, la souffrance morale et la solitude ne seront plus que de lointains et mauvais souvenirs.
































Dessiné et mis en scène par Alberto Vasquez, un artiste espagnol né en 1980 à la Corogne et connu dans son pays pour ses travaux d'illustrations au style décalé, que ce soit pour la presse ou la bande dessinée, cet étrange et très poétique "Psychonautes" est sa première bande dessinée traduite et éditée en France, révélant tout la quintessence d'un artiste inspiré et original, engagé et franc-tireur aussi puisque ce roman graphique agit comme une sorte de poil à gratter en dénonçant ça et la quelques problèmes majeurs en phase avec notre époque, comme les catastrophes écologiques (l'île ou vivent nos héros n'a rien de paradisiaque, bien au contraire), le chômage, le rejet des outsiders, la solitude, l'abus de paradis artificiels pour fuir la réalité insupportable, comme jadis une certaine Christiane F et les enfants de Bahnhof Zoo à Berlin, accros à l'héroïne pour tenter de zapper une existence synonyme de long cauchemar éveillé, vouée à l'échec et au chaos. Un roman graphique plutôt sombre donc, sorte de croisement entre Tim Burton et Salad Fingers personnage creepy à souhait, mais qui n'est pas dénué d'un certain humour (noir) plutôt délectable, une farce pessimiste, une tragicomédie humaine qui aurait pu être écrite par Edgar Allan Poe himself, bourrée de références philosophiques sur la vie, la mort, l’espérance, le spleen et l'envie de partir ailleurs pour mieux se reconstruire, et qui dit en substance et sans clichés bas de gamme que la lumière se trouve forcément au bout du tunnel, et que même dans le marasme le plus total l'espoir peut s'épanouir telle une fleur au milieu des décombres.

** "Psychonautes" dessins et scénario de Alberto Vasquez, éditions Rackham. Lecture conseillée à partir de 16 ans.**

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire